Le travail lié à la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) a toujours été exigeant, car il nous invite à l’autoréflexion en tant qu’êtres humains et en tant qu’organismes.
Le travail lié à la promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) a toujours été exigeant, car il nous invite à l’autoréflexion en tant qu’êtres humains et en tant qu’organismes. Il nous demande d’examiner et de reconnaître les inégalités et de dépasser l’attitude défensive qui découle des conversations sur le pouvoir et les privilèges.
De telles conversations et réflexions peuvent être difficiles, mais elles sont aussi importantes pour que les changements soient réussis. À la lumière des récentes manifestations du mouvement Black Lives Matter qui ont eu lieu partout dans le monde et de l’attention qu’elles ont attirée sur les questions de diversité et d’inclusion, nous avons contacté nos collègues des organismes de réglementation du génie qui s’efforcent d’améliorer l’EDI au sein de la profession. Dans ce premier article d’une série de trois, ils nous font part de leurs réflexions sur l’importance des initiatives de promotion de l’EDI au sein de la profession d’ingénieur et sur ce qui en fait un enjeu pressant.
Ingénieurs Canada : Pourquoi croyez-vous que le travail de promotion de l’EDI est important pour la profession d’ingénieur?
Marcie Cochrane, coordonnatrice, 30 en 30, Engineers and Geoscientists BC : La profession d’ingénieur est centrée sur la sécurité du public et l’amélioration du monde dans lequel nous vivons. L’ingénierie est présente dans la vie quotidienne de chaque personne : pensons aux infrastructures dont nous dépendons, aux produits que nous utilisons et aux systèmes dont nous bénéficions. Compte tenu de cette diversité d’utilisateurs et de besoins, il est important que la profession reflète cette diversité pour que les solutions livrées répondent aux divers besoins et intérêts du public. Des équipes de conception diversifiées sont plus susceptibles de produire des solutions innovantes qui répondent aux besoins d'un éventail plus diversifié d’utilisateurs.
Lisa Stepnuk, directrice, Équité et Représentation, Engineers Geoscientists Manitoba : Le travail d’ingénierie touche tous les aspects de nos vies, de nos collectivités et de nos environnements : sécurité alimentaire, eau potable, assainissement, production et distribution d’énergie, habitation et construction, transports, sécurité, environnement et faune, communications, traitement des données, technologies médicales pour le diagnostic, les processus et les traitements, maintien de l'ordre, surveillance, etc. Cela signifie que les ingénieurs détiennent un grand pouvoir sociétal.
On peut voir, dans la section 13 des Appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées que la sécurité et le bien-être physiques, environnementaux et économiques des femmes autochtones ne sont pas encore compris et priorisés dans le cadre de tous les projets d’extraction et de développement. On peut aussi voir, dans les recherches portant sur les technologies de reconnaissance faciale, que les préjugés raciaux et sexistes peuvent être programmés dans le logiciel si l’on ne s’applique pas à poser les bonnes questions et à effectuer les bons tests, ce qui a de graves conséquences pour les femmes, les personnes non conformes au genre et à la peau foncée en ce qui concerne les services de police et les véhicules automatisés. Beaucoup de nouveaux édifices n’ont toujours pas de toilettes sûres pour les personnes non binaires, transgenres et non conformes au genre. Les cotes de sécurité des voitures pour les corps qui ne correspondent pas à « l’homme américain moyen » n’ont été imposées qu’au cours de la dernière décennie. Quelles sont les conséquences éthiques d’apposer son sceau sur ces projets, produits et conceptions? À qui sont destinées nos conceptions et nos solutions? À qui appartiennent les voix, les idées et les préoccupations que nous entendons et prenons en compte? À qui appartiennent celles que nous ignorons? Quelles solutions ne sont même pas imaginées ou envisagées? Qui en souffre? Qui est sacrifié? Quelles sont les occasions manquées en matière de justice?
Kathy Baig, présidente, Ordre des Ingénieurs du Québec (OIQ) : Pour moi, l’équité, la diversité et l’inclusion c’est fondamental parce que je crois que tout le monde devrait avoir une chance égale peu importe ses origines, son sexe ou son appartenance. Une plus grande diversité permet d’attirer et de retenir les meilleurs talents en plus de générer des idées nouvelles et d’encourager l’innovation. Cela rend les organisations, y compris celles qui œuvrent en ingénierie, plus compétitives et efficientes.
Bien que nous accueillions et accompagnions plus de 3 000 nouveaux membres par année à l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), le Québec est confronté à une rareté de main-d’œuvre qualifiée. C’est également vrai en génie alors que 35 % de nos membres ont plus de 50 ans. L’enjeu du recrutement et de la relève est donc prioritaire pour notre profession. Nous voulons stimuler le recrutement en attirant plus de femmes dans la profession d’ingénieur et en facilitant l’intégration des immigrants formés en génie. Pour ce faire, il faut entre autres reconnaître l’expérience professionnelle et pas seulement les diplômes.
Mohamed El Daly, directeur, services Diffusion et Produits, APEGA : Nous croyons que la promotion de l’EDI est importante dans toutes les professions – mais plus particulièrement dans les domaines traditionnellement dominés par les hommes blancs, comme le génie – parce que les femmes et les autres groupes sous-représentés sont confrontés à des obstacles systémiques et interpersonnels lorsqu’il s’agit d’entrer et de s’épanouir dans les professions. Cela nuit à la profession, aux organismes, aux entreprises, aux membres de la profession et à la société. En outre, la diversité et l’inclusion se justifient sur le plan commercial : lorsque les entreprises disposent d’une main-d’œuvre diversifiée qui se sent engagée et acceptée dans le milieu de travail, la créativité, l’innovation et les bénéfices augmentent, ce qui devrait suffire pour motiver les dirigeants à adopter des pratiques plus inclusives.
Laura Douglass, coordonnatrice, Ingénieurs stagiaires, Diversité et Inclusion, AIGNB : Pour assurer sa pérennité, je crois que la profession d’ingénieur a besoin de points de vue diversifiés et d’innovation continue. Nous avons vu des exemples d’innovations spectaculaires qui ne fonctionnent que pour un petit sous-ensemble de personnes et en excluent d’autres, voire les mettent en danger. Lisa Stepnuk en a donné des exemples dans sa réponse. Cela ne devrait pas exister, en particulier avec la complexité de la mondialisation de la main-d’œuvre et le niveau d’accessibilité à des gens talentueux de tous les horizons. L’équité, la diversité et l’inclusion sont des pierres angulaires essentielles pour opérer les changements nécessaires dans notre profession.
Ingénieurs Canada : Qu’est-ce qui fait de l’EDI en génie un enjeu pressant? Quelle est l’urgence? Pourquoi est-il important de parler maintenant d’EDI en génie?
Laura Douglass : Le monde change sous nos yeux, en 2020 encore plus que jamais auparavant. Je crois que les entreprises et les écoles d’ingénierie qui n’ont pas de plan et de stratégie en matière d’EDI prennent du retard et verront d'ici cinq ans l'impact de leur inaction. Ces points de vue diversifiés, non seulement dans les rôles de premier échelon ou dans la population étudiante, mais aussi au sein de la haute direction, de l’administration et du corps enseignant, sont essentiels à l'innovation et à la créativité qui permettent aux organisations de progresser.
Marcie Cochrane : En ce moment, nous examinons les inégalités et les obstacles systémiques dans notre société, et nous travaillons collectivement pour apprendre, comprendre et améliorer les choses. Nous savons que la profession d’ingénieur doit s’améliorer – nous avons des données sur la diversité de genre qui le démontrent. Il existe moins de données disponibles sur les autres mesures de la diversité au sein de la profession, mais nous savons que notre profession ne reflète pas encore pleinement la diversité de l’ensemble de la population. Il est donc vital de parler maintenant de l’EDI en génie, pendant que ces conversations importantes ont cours. Pour voir des changements et promouvoir la diversité au sein de la profession, nous devons être prêts à participer à des conversations qui peuvent être difficiles et inconfortables. On s’attend de plus en plus à ce que les entreprises et les organismes participent à ces conversations et passent à l’action, faute de quoi on risque de perdre des employés, des clients et la confiance du public.
Kathy Baig : Avec la pandémie, les médias ont peu parlé d’équité, de diversité et d’inclusion, ce qui peut être normal. Cependant, il ne faut pas perdre de vue les enjeux qui y sont reliés.
Pour favoriser cette diversité, l’OIQ adhère notamment à l'initiative pancanadienne 30 en 30 d’Ingénieurs Canada. Celle-ci vise à faire en sorte que 30 % des nouveaux ingénieurs soient des femmes en 2030. Selon certaines études, 30 % correspond au chiffre « magique » où une fois les 30 % atteints, le groupe minoritaire réussit à se faire entendre, à faire valoir ses besoins et ses opinions.
Par ailleurs, les femmes et les professionnels issus de l’immigration sont encore sous-représentés dans les conseils d’administration et ont de la difficulté à briser le plafond de verre pour accéder aux postes de hauts dirigeants. Pourtant, le génie est une profession favorable aux femmes et offre de belles perspectives de carrière.
Mohamed El Daly : Il est important de parler de tout aspect où il reste un déséquilibre et des obstacles à la participation pleine et authentique de tous. Comme beaucoup d’autres professions, le génie est maintenant forcé de faire certains choix difficiles – nous ne devons pas revenir aux structures historiques de la discrimination, et penser à l’équité que lorsqu’il est commode de le faire; nous devrions plutôt y voir une occasion de recréer des bases équitables pour notre profession.
Ne manquez pas de lire la prochaine édition de Parlons génie dans lequelvous trouverez le deuxième article de cette série de trois, où Marcie Cochrane, Lisa Stepnuk, Laura Douglass, Kathy Baig et Mohamed El Daly décrivent en quoi la pandémie de COVID-19 a eu un impact sur l’EDI au sein de la profession d’ingénieur.