Quels pourraient être les effets de la pandémie sur l’EDI en génie? Des organismes de réglementation font le point.

Cet article est le deuxième d'une série de trois sur l'équité, la diversité et l'inclusion (EDI) dans la profession d'ingénieur. Lire la première partie.

Il n’est pas facile de travailler à l’avancement de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI), car cela porte à réfléchir sur soi, que l’on soit une personne ou une organisation. Ce travail exige de prendre conscience des inégalités, puis de les explorer, mais aussi d’aborder la question du pouvoir et des privilèges sans adopter une attitude défensive.

Si ce type de conversation et de réflexion est difficile, il est nécessaire pour que les choses changent. Dans la foulée de la récente campagne La vie des noirs compte (Black Lives Matter) et des manifestations qui ont suivi dans le monde entier, la diversité et l’inclusion ont été mises sous les feux de la rampe. Ingénieurs Canada en a profité pour se tourner vers des collègues d’organismes canadiens de réglementation du génie qui sont chargés d’améliorer l’EDI au sein de la profession. La pandémie de COVID-19 a aussi des répercussions sur les discussions au sujet de l’EDI. Selon certains, cette crise sanitaire aurait même précipité une « récession des femmes » (« she-cession »). Dans ce deuxième article d’une série de trois, des organismes de réglementation du génie font le point sur les effets – positifs et négatifs – que la pandémie pourrait avoir sur l’EDI dans le milieu du génie.

Ingénieurs Canada : Selon vous, quels sont les effets de la COVID-19 sur l’EDI en génie?

Mohamed El Daly, directeur, services Diffusion et Produits, APEGA : En Alberta, on constate que les organismes de génie et de géoscience ont été gravement touchés par le ralentissement économique, la chute du prix du pétrole, et maintenant la COVID-19 — au point où les initiatives d’EDI ont été complètement délaissées, car ces organismes sont tout simplement en mode survie.

Nous parlons beaucoup de l’interruption causée par le travail à domicile, et des écarts que cette situation a pu creuser entre les sexes, mais nous n’avons pas encore analysé la question en profondeur. 

L’autre chose qui nous préoccupe, mais qu’il faut analyser, c’est l’étape du retour au bureau des travailleurs essentiels. On se demande si le genre va entrer en ligne de compte au moment de décider qui revient en premier et quels effets cela aura sur les entreprises, notamment si les femmes sont exclues de la première vague de retours.

Lisa Stepnuk, directrice, Équité et Représentation, Engineers Geoscientists Manitoba : Les femmes assument déjà une plus grande part du travail de soins aux enfants, aux personnes âgées, aux amis, à la famille et à la collectivité. Certaines femmes ont dû prendre des congés ou mettre leur carrière en veilleuse pour pouvoir se débrouiller. La pandémie de COVID-19 pourrait exacerber ce phénomène. Nous verrons comment les choses évoluent à long terme pour ce qui est de la réouverture des écoles, de l’accès à des services de garde d’enfants abordables et des foyers de soins de longue durée. Il pourrait y avoir des reculs majeurs quant à la représentation des femmes et aux effets de cette situation sur la culture et les politiques en milieu de travail. La nécessité de survivre à la crise sanitaire et économique pourrait être invoquée pour suspendre les travaux sur l’EDI, et ce, même s’il est toujours aussi important, sinon plus, de multiplier les efforts dans ce domaine.

Toutefois, la pandémie nous a montré qu’il était possible de s’organiser très rapidement pour travailler à distance. Nous espérons que cela aura des répercussions durables sur les horaires de travail flexibles préconisées par bien des gens – défenseurs des personnes handicapées, parents et soignants.

Laura Douglass, coordonnatrice, Diversité et inclusion, AIGNB : Du point de vue de l’EDI, je pense que la COVID-19 a eu différents effets. Les Canadiens d’origine asiatique ont été victimes de harcèlement et de discrimination partout au pays, et les écoles de génie et les milieux de travail n’y ont pas échappé. On peut également observer les choses sous l’angle du télétravail, de la quête d’un équilibre entre la vie professionnelle et familiale, surtout quand on a de jeunes enfants, et de la manière dont les rôles sont partagés entre les hommes et les femmes. Pour la petite histoire, nous avons entendu dire qu’une grande partie de la tâche consistant à s’occuper des enfants dans la journée, y compris l’encadrement des devoirs et des leçons, reposait sur les épaules des femmes. Or, ceci a forcément un effet sur leur capacité à participer pleinement aux réunions; à faire preuve d’efficacité pendant leur journée de travail, ou à réaliser des tâches importantes. Ce n’est peut-être pas le cas de toutes les familles, mais c’est une tendance décevante, quoique prévisible.

Kathy Baig, présidente, Ordre des Ingénieurs du Québec (OIQ) : Le confinement a exacerbé les difficultés auxquelles se heurte notre société. Selon les résultats d’un sondage sur l’évolution professionnelle des ingénieures, réalisé par Ipsos au cours de l’été 2019, parmi les ingénieurs, 26 % des femmes interrogées avaient du mal à concilier le travail et la vie de famille, alors que c’était le cas chez seulement 13 % des hommes. Cette situation s’est compliquée lorsque les familles avec des enfants d’âge scolaire se sont retrouvées confinées à la maison. Les employeurs ont dû se montrer plus flexibles et un bon nombre d’ingénieurs, hommes et femmes, ont travaillé à distance. Néanmoins, il a fallu réorganiser les horaires pour pouvoir à la fois s'occuper des enfants et travailler. Beaucoup de personnes se sont retrouvées dans des situations compliquées qui les ont obligés à prendre des décisions difficiles. Les professionnels formés à l'étranger ont aussi eu leur lot de difficultés : leur entrée sur le marché du travail pourrait accuser un retard, car les cours et les examens d’admission à l’université ont été remis à plus tard. De plus, les entreprises et autres organisations ralentissent leurs processus d’embauche.

Marcie Cochrane, coordonnatrice, 30 en 30, Engineers and Geoscientists BC : À l’heure actuelle, il est difficile d’évaluer les effets de la COVID-19 sur l’EDI en génie, mais nous avons cerné des effets négatifs et positifs. Côté positif, cette transition vers le télétravail peut être favorable à l’inclusion si les entreprises adoptent cette pratique à l’avenir, même à temps partiel. Cette nouvelle formule peut profiter à tous, mais surtout aux personnes dispersées sur le territoire, celles qui ont des problèmes de mobilité, et celles qui ont des obligations familiales, parfois difficiles à conjuguer avec le travail au bureau à temps plein. 

En revanche, pendant la pandémie, les effets négatifs du travail à domicile sur la carrière ne sont pas répartis équitablement entre les sexes. En effet, on a tenu compte du télétravail et de ses effets sexospécifiques, car les femmes assument généralement une plus grande part des responsabilités domestiques non rémunérées, y compris les obligations familiales. Il est donc plus probable que les femmes aient été obligées de réviser leurs engagements professionnels ou que leur rendement ait souffert puisqu’elles devaient jongler avec des responsabilités comme la garde des enfants et l’aide à l’instruction. D’autres groupes sont touchés, par exemple, les personnes ayant des limites physiques qui ne peuvent peut-être pas improviser un bureau à domicile adapté à leurs besoins, ce qui freine leur rendement au travail.

Avec la transition vers le télétravail, et maintenant avec le mouvement dans le sens inverse, il faut penser l’inclusion autrement. Elle doit être intégrée aux plans de retour au bureau, sinon il y aura exclusion, et cela aura une incidence qui ne sera pas équitable. Les personnes qui doivent rester à la maison – pour des raisons familiales, de santé ou autre – seront pénalisées par rapport à celles qui retournent au bureau. En effet, elles seront exclues des conversations de couloir, spontanées mais importantes. Elles pourraient aussi passer à côté de mandats intéressants parce qu’elles sont « hors de vue, hors de l’esprit ». Or, généralement, ces personnes (souvent des femmes ou des personnes handicapées) sont déjà sous-représentées en génie.

Surveillez le prochain numéro de Parlons génie, vous y trouverez le troisième et dernier article de cette série. Marcie Cochrane, Lisa Stepnuk, Ruth Douglass, Kathy Baig, et Mohammed El Daly vous donneront des conseils sur la manière de secouer la lassitude que pourrait susciter la question de la diversité.