Professeur au Département de génie de la construction de l’École de technologie supérieure (ÉTS), Alan Carter met tout son génie à concevoir des enrobées de chaussée moins dommageables pour l’environnement.
« Je trouve que ça sent bon un enrobé qui chauffe ! » Pas de doute, le codirecteur du Laboratoire sur les chaussées et matériaux bitumineux se trouve exactement à sa place dans ses fonctions de chercheur. À la blague, Alan Carter précise qu’il n’est d’ailleurs pas le seul à apprécier l’odeur d’un mélange à étendre sur la route. Mais n’anticipons pas trop. Pour comprendre la passion pour son métier du professeur au Département du génie de la construction à l’École de technologie supérieure (ÉTS), il faut remonter à son enfance dans le Bas-du-Fleuve.
À la fin des années 1990, le jeune Alan s’enthousiasme pour la construction de cabanes dans le bois et de garages, avec son père. Autour d’eux, les amis de la famille, qui possèdent une quincaillerie, discutent des mérites des panneaux de bois et des différents outils de bricolage. Rien d’étonnant dans ces conditions que ce bon élève s’oriente vers la technologie de l’architecture au cégep. Une fois diplômé, son intérêt à régler des problèmes concrets l’oriente ensuite vers le génie de la construction à l’ÉTS.
Là, l’étudiant découvre la recherche en s’impliquant dans un des clubs. Le but, fabriquer un canot en béton le plus léger possible. « En tant que capitaine de mon équipe, j’étais responsable de réaliser le mélange de béton, en introduisant des additifs, comme du latex, pour obtenir une bonne résistance et tension sans avoir trop de poids », raconte l’enseignant. Ses premiers essais jettent les bases de ce qui constitue encore aujourd’hui une grande partie de son travail, autrement dit doser différents matériaux pour résoudre des questions techniques bien précises. D’abord pour faire glisser un canot sur l’eau, puis plus tard pour aider l’environnement, en fabriquant des enrobés de chaussée moins gourmands en bitume et en énergie.
Saisir sa chance
Le choix de ce genre de recherche, il le doit en grande partie à un des professeurs qui a aidé à la formulation du béton pour le club étudiant. Conscient des qualités du jeune homme, ce dernier lui suggère une école française, spécialisée dans l’énergie et les matériaux, pour terminer son diplôme de génie de la construction. Même s’il n’a aucune bourse, Alan Carter saute sur l’occasion d’aller se perfectionner ailleurs. Bien lui en prend, puisqu’à son retour à Montréal il entreprend une maîtrise dans le domaine des matériaux bitumineux alors en plein essor.
C’est alors que l’ÉTS lui fait une offre qu’il ne peut refuser. L’embaucher comme professeur après trois années d’études sur le recyclage des enrobés accomplies à l’Université d’Auburn en Alabama. Sans hésiter, le jeune homme fonce. Il part pour l’université américaine avec sa conjointe et leur bébé de quelques mois. Ce travailleur infatigable, capable de saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent, dispose désormais de toutes les cartes en main pour déployer ses ailes dans un domaine qui le passionne.
« Au Québec, on reste encore réfractaire à introduire des matériaux recyclés pour refaire des chaussées car ce n’est pas toujours facile avec notre climat hivernal de trouver un liant qui fonctionne bien à basse température, reconnaît le professeur-chercheur au Département de génie de construction. La plupart des matériaux se contractent quand il fait froid, et les enrobés risquent alors de fendre. » Passionné par ce genre de défi, le codirecteur du Laboratoire sur les chaussées et matériaux bitumineux mène justement quantités de projets de recherche pour réduire notre dépendance au bitume et moins utiliser d’énergie pour réaliser les enrobés.
Trouver d’autres liants en guise de bitume
Au fil du temps, il a ainsi testé la lignine, un biopolymère que l’on retrouve dans le bois, qui remplace avantageusement le dérivé du pétrole traditionnel comme liant pour les revêtements de chaussée. Autres essais réalisés avec succès, ceux utilisant de l’huile de soya, du biodiésel fabriqué à l’ÉTS, ou des sacs en plastique à usage unique, que l’on peine à recycler autrement. À Victoriaville, par exemple, une partie du bitume a été remplacé par ce genre de matériau cet été avec succès.
« Nous sommes l’un des plus gros laboratoires de recherche sur les chaussées au Canada, et nous jouons donc un rôle très important pour participer à la décarbonation de l’économie canadienne d’ici 2050, affirme le codirecteur. Nos recherches aident l’industrie et les municipalités à prendre des moyens efficaces pour réduire l’empreinte environnementale liée à l’entretien des routes », affirme le codirecteur. Chercheurs et étudiants travaillent donc en équipe sur la façon d’augmenter jusqu’à 40 % le pourcentage de matériaux recyclés utilisés dans les enrobés, tout en réduisant la température qui traditionnellement doit grimper jusqu’à 150 degrés pour produire du bitume. Cela passe notamment par une optimisation du squelette granulaire dans les enrobés, mais aussi par l’utilisation d’un régénérant, idéalement biologique comme l’huile de soya pour redonner de la flexibilité au bitume.
Établir des liens
Alan Carter espère que ses connaissances et ses découvertes vont contribuer à faire baisser l’émission de gaz à effet de serre dans le domaine du transport. Une motivation qui le pousse à s’impliquer dans différents groupes de recherches et sociétés savantes comme l’Association technique canadienne du bitume ou encore l’International Society For Asphalt Pavement, qui regroupe des spécialistes à travers le monde. Loin de l’image du chercheur enfermé dans sa tour d’ivoire, il pousse très tôt ses étudiants et étudiantes dans leur parcours universitaire, à nouer des liens avec des chercheurs du domaine un peu partout sur la planète.
« À mes yeux, la recherche fait partie de la formation, explique ce pédagogue convaincu, qui a siégé à de nombreux comités universitaires. C’est essentiel d’instruire le plus de gens possible pour qu’ils puissent travailler dans l’industrie ou dans le monde académique à changer les choses. Il ne s’agit pas simplement de transférer nos connaissances mais de devenir des mentors pour que des professionnels puissent régler les problématiques actuelles et à venir. » Optimiste pour la profession d’ingénieur, le professeur considère par ailleurs que le Canada doit s’attaquer rapidement à la rénovation de ses infrastructures de transport vieillissantes.
Une réhabilitation qui va demander beaucoup de doigté aux ingénieurs reconnaît-il. Il faut non seulement trouver des solutions technologiques innovantes et durables, mais tenir compte aussi des contraintes sociales et environnementales. Un rôle essentiel qui demande des équipes de travail multidisciplinaires. Lui, donne déjà l’exemple à ses étudiants, en partageant le plus possible ses connaissances avec les spécialistes mondiaux des enrobés. Une façon de leur montrer que l’avenir du génie passe en grande partie par l’échange.