Au seuil d’une nouvelle décennie, nous sommes nombreux à réfléchir à ce que l’avenir réserve au monde du génie.
Devant le calendrier, qui affiche désormais ces quatre jolis chiffres tout en rondeurs, nous sommes nombreux à réfléchir à ce que l’avenir réserve au monde du génie. Les articles et billets de blogues consacrés récemment à cette question posent sur les dix prochaines années un regard à la fois enthousiaste et optimiste.
À priori, la plupart des auteurs s’entendent pour dire que les branches traditionnelles du génie (p. ex., le génie chimique, électronique et civil) seront toujours recherchées, mais que la nature du travail et de la formation va changer. Dans ces disciplines, les ingénieurs devront se montrer plus polyvalents et souples afin de tirer parti des nouvelles technologies et de s’y adapter, tout particulièrement celles qui touchent à l’intelligence artificielle et à la science des données. James Plummer, professeur de génie et ancien doyen à l’Université de Standford, note que les emplois seront moins nombreux dans un monde plus automatisé – selon certaines estimations, l’automatisation pourrait réduire de 40 % le nombre d’emplois d’ici 2030. On comprendra donc que, pour rester pertinent, il faudra miser davantage sur la formation tout au long de la vie et la gestion de connaissances opportunes. M. Plummer explique essentiellement que les systèmes d’éducation devront se concentrer sur la formation de professionnels de la haute technologie susceptibles d’accomplir ce qu’un ordinateur ne peut faire. Ce modèle d’intelligence augmentée, qui mise à la fois sur les forces de la pensée humaine et la puissance informatique, joue déjà un rôle de premier plan dans des domaines allant du marketing à la médecine.
Évidemment, les nouvelles disciplines du génie se sont développées ces dernières années et continueront de combler des lacunes tandis que les technologies évoluent à un rythme effréné et que le génie se penche sur les problèmes les plus urgents. L’Université de Californie à Riverside signale pour sa part que les disciplines concernées par les changements climatiques, par exemple le génie des eaux ou le génie de l’environnement, enregistrent une croissance supérieure à bien d’autres branches du génie, car la demande de systèmes d’énergie verte (éoliennes, installations hydroélectriques et infrastructures solaires) va en augmentant. On prévoit également que les domaines liés aux logiciels, comme la science des données et le génie informatique, devront répondre à une nouvelle nécessité : combiner des éléments du génie mécanique et électrique avec des principes issus de disciplines relativement nouvelles comme la programmation informatique et l’analyse de données. Carsten Bock, associé principal chez Roland Berger, une firme mondiale de génie-conseil, abonde dans ce sens. Il affirme en effet que le rythme de convergence des composantes mécaniques, électriques, électroniques et informatiques va s’accélérer et qu’il faudra donc faire preuve de polyvalence.
Outre les transformations qui vont s’opérer dans les disciplines du génie, les interactions seront complexes entre les marchés internationaux et les contextes réglementaires. M. Bock souligne que, en raison de la diversité des demandes de produits sur différents marchés et dans différents contextes réglementaires, les firmes de génie-conseil devront relever des défis importants sur le plan des ressources, ce qui, en dernier ressort, les obligera à prendre des décisions difficiles. Selon lui, ces firmes devront soit accepter de mettre au point à grands frais la variante d’un produit afin de répondre aux exigences réglementaires d’un pays donné, ou alors carrément se retirer du marché en question. Il pense que les entreprises qui conçoivent des produits devront s’appuyer sur des modèles d’affaires permettant de trouver un juste milieu entre les solutions haut de gamme – personnalisées, donc coûteuses – et les produits standard.
Pour compliquer encore davantage les choses, un article paru récemment dans Forbes souligne que dès 2020, cinq grandes tendances technologiques vont perturber le monde du génie, à savoir les jumeaux numériques, l’intelligence artificielle, le design génératif, la robotique et l’impression 3D. Chacune de ces tendances est en soi une révolution, donc prises ensemble, elles vont bouleverser le paysage du génie. Il suffit de penser à la création plus rapide et plus économique de prototypes, à la conception plus efficace de produits, à la diminution des risques liés aux produits et aux nouvelles façons dont les ingénieurs devront utiliser la technologie et en tirer parti. Par exemple, le design génératif signifie qu’un ingénieur crée un algorithme intégrant des paramètres de conception, puis qu’il choisit une solution parmi des centaines, voire des milliers d’options. Grâce au jumelage numérique, qui permet de créer des modèles numériques parfaits d’objets réels et donc de réduire les coûts du prototypage, les avancées vont se faire à un rythme effréné, jamais égalé. Ainsi, pendant un temps, il faudra probablement composer avec plusieurs technologies en même temps (pensez aux formats Blu-ray et HD DVD, ou aux voitures à essence et aux voitures électriques), jusqu’à ce que l’une d’entre elles prenne le dessus. En attendant, toutes ces technologies et le soutien technique connexe représentent un investissement considérable.
La bonne nouvelle? Les utilisateurs finaux des produits d’ingénierie bénéficieront de ces tendances transformatrices. Wayne Barger, directeur, Pratiques de santé, chez SmithGroup, une firme de conception intégrée, note par exemple que les outils de visualisation étant de plus en plus réalistes et immersifs, la collaboration entre le maître d’œuvre, l’entrepreneur et les concepteurs sera un jour beaucoup plus intégrée. Ce n’est là qu’un petit aperçu de la manière dont les ingénieurs et les firmes de génie-conseil pourront tirer parti de cette discipline embryonnaire qu’est la réalité virtuelle (et son cousin, la réalité augmentée). L’Université de Californie à Riverside prévoit d’ailleurs que cette industrie va enregistrer une croissance rapide : son chiffre d’affaires devrait passer d’un milliard de dollars en 2015 à 33,9 milliards de dollars en 2022.
Ces pronostics sont peut-être utiles, mais passent tous sous silence deux points importants pour l’avenir du génie, et dont il faudra pourtant discuter : la diversité et l’inclusion. Ce silence est surprenant dans la mesure où il serait judicieux de multiplier les points de vue pour composer avec les complexités qui nous attendent. Il est également surprenant si l’on pense à tous les efforts déployés à l’heure actuelle pour accroître la diversité dans les STIM. Si le silence entourant ces questions peut s’avérer frustrant à plusieurs égards, il recèle des possibilités : les enseignants, les firmes et les ingénieurs qui arrivent à tirer parti des efforts déployés actuellement pour promouvoir la diversité et l’inclusion seront mieux outillés pour s’adapter à un futur dont la seule et unique certitude est que les choses vont changer à un rythme fulgurant.