La créativité et l’inspiration en génie

Dans son livre How to Fly a Horse: The Secret History of Creation, Invention, and Discovery, le pionnier de la technologie Kevin Ashton réfute la notion voulant que les idées apparaissent lors d’éclairs de génie aléatoires, pleinement formées et prêtes à être communiquées. Il affirme que l'invention est plutôt le produit « d'efforts et d'erreurs, la progéniture de faux départs et d'échecs ». La créativité, conclut-il, est un processus et non un moment.

On pourrait dire la même chose du génie. L'ingénierie est un processus itératif qui comprend l'identification d’un problème, la recherche des causes et l’exploration de solutions, la conception, les essais et l'évaluation, la mise au point, la production et la mise en œuvre. Et bien que le génie soit souvent considéré comme un domaine hautement scientifique et technique, la créativité fait partie intégrante de chaque étape du processus de conception technique. L'ingénierie est une activité intrinsèquement créative.

« La plupart des ingénieurs se décrivent comme des solutionneurs de problèmes », indique Jennifer Drake, professeure agrégée au Département de génie civil et minéralurgique de l'Université de Toronto, et récipiendaire de la Distinction pour réalisation exceptionnelle d’une jeune ingénieure en 2019. « Si votre objectif est de résoudre un problème, cela signifie que vous ne connaissez pas encore la solution. La seule façon de parvenir à cette solution est de créer quelque chose qui n'existait pas auparavant, d'être innovant, de voir des aspects que d’autres n'ont pas vus. La créativité est la pierre angulaire de la résolution de problèmes. »

D'où vient cette créativité? Qu'est-ce qui la suscite chez les ingénieurs? Qu'est-ce qui l'inspire?

De nombreux ingénieurs tirent leur inspiration de l'impact que leur travail d'ingénierie peut avoir sur les gens, sur leurs communautés et sur le monde qui les entoure, aujourd'hui et dans l'avenir. Le génie est une profession « aidante » qui a des effets directs, observables et tangibles sur la vie des gens. Ce sont souvent ces effets qui alimentent et stimulent la créativité des ingénieurs.

« Mon univers englobe les principes et les outils du génie, et l’environnement, mais plus que tout, ce sont les gens et les collectivités avec qui je travaille dans le monde entier, [...] les interactions que j’ai avec eux qui inspirent ma créativité et m’incitent à en faire plus parce que c'est la bonne chose à faire », explique Tim Joseph, ingénieur principal chez JPi Mine Equipment and Engineering, et membre du conseil d'Ingénieurs Canada. « Après plus de 20 ans d’exercice du génie, je peux vraiment affirmer que l’exaltation de la créativité m’habite si profondément que je me réveille encore chaque matin en pensant à un nouveau concept, à de nouvelles conceptions, analyses ou améliorations. »

D’autres ingénieurs disent aussi que leur inspiration et leur créativité se nourrissent du travail d'équipe qui caractérise la plupart des projets d'ingénierie, ainsi que des différentes perspectives et façons dont les divers membres de l'équipe abordent les problèmes.

« Pour moi, l'inspiration de la solution à un problème vient du fait de l'envisager sous différents angles », indique Dawn Nedohin-Macek, gestionnaire, Services de transmission et Conformité, Manitoba Hydro, et membre du conseil d'Ingénieurs Canada. « En tenant compte des aspects juridiques (avons-nous le droit de faire cela?), du client (qu'est-ce qui fonctionnera pour lui?), de l'équipe (avons-nous les ressources nécessaires?), je parle au personnel et j'apprends comment des problèmes semblables ont été résolus auparavant, en gardant toujours à l'esprit que chaque problème a une solution unique. »

De même, Jennifer Drake, dont l'équipe de recherche vise à atténuer les impacts des centres urbains sur les ressources en eau, s'inspire des expériences et des perspectives de ses étudiants.

« L'Université de Toronto étant une école vraiment internationale, j'ai l'occasion de travailler avec des étudiants qui viennent de partout dans le monde, explique-t-elle. Les étudiants qui se joignent à mon groupe arrivent avec un bagage d'expériences personnelles – ils ont vu les impacts de la négligence et de la pollution sur les centres urbains. Ils abordent ce problème avec une passion beaucoup plus grande qu’un étudiant occidental qui a toujours connu la richesse environnementale. Ils peuvent s’attaquer à ce problème avec une profondeur et une compréhension que je n’ai pas. C'est inspirant. »

Les recherches indiquent qu'outre la créativité que ces différentes perspectives peuvent inspirer, elles conduisent également à de meilleurs résultats. Abigail Posner, directrice de BrandUnit, le groupe de réflexion créatif de Google pour les agences et les marques, voit la créativité émerger quand les gens recherchent quatre liens clés : chercher le pourquoi du problème, trouver des connexions entre des idées disparates, déterminer les contraintes et collaborer.

Et l’inspiration peut surgir quand on s’y attend le moins.

« Je ne pense pas que l’on puisse forcer l’inspiration, dit Tim Joseph. Quand il s’agit de résoudre un problème évident, la méthode d'observation a toujours été un bon point de départ – observer, interpréter, prédire, adapter, observer – et peut parfois se transformer en une nouvelle approche, mais ce sont les moments « eurêka » spontanés qui sont vraiment exaltants. »

Pour Jennifer Drake, ces moments spontanés lui viennent généralement juste avant de s’endormir.

« Parfois, il suffit de laisser reposer un problème. Sans travailler dessus. Bien des gens oublient qu’il faut se donner le temps de ruminer. On ne se rend peut-être pas compte qu’on travaille sur quelque chose, mais c'est le cas. Par exemple, la solution à un problème me vient généralement juste au moment où je m’endors. Il faut s’accorder cet espace pour jouer avec un problème. »