Quazi Hassan utilise des informations du passé et du présent pour prévoir les catastrophes futures et élaborer des plans de résilience afin d’atténuer le risque croissant de feux de forêt au Canada.
« Dans tout le pays et même dans le monde entier, les catastrophes entraînent des déplacements de populations », déclare Quazi Hassan.
Rien qu’aujourd’hui, près de 22 000 résidents de Yellowknife (T.N.-O.) ont reçu un ordre d’évacuation en raison des incendies qui s’approchent de la ville. D’autres communautés dans la région de South Slave, y compris Fort Smith, la Première Nation Salt River, Hay River, la Première Nation de Kátł'odeeche, Entrerprise, et rivière Jean Marie font toujours l’objet d’ordres d’évacuation datant du début de la semaine.
Cette année, le Canada a été le théâtre d’incendies de forêt sans précédent. Plus de 10 millions d’hectares ont brûlé, entraînant des évacuations massives et le déplacement temporaire de plus de 100 000 personnes. Les incendies ont endommagé des centaines de maisons et la fumée a réduit la qualité de l’air dans tout le pays et dans le monde entier. L’augmentation de la vulnérabilité aux incendies de ce printemps avait été prédite dans les prévisions de M. Hassan.
Pour Quazi Hassan, « les catastrophes façonnent le monde ». Sa détermination et son expertise l’ont conduit à l’obtention d’un doctorat et d’un permis d’exercice du génie au Canada, tandis que sa fascination de longue date pour les catastrophes l’a amené en Alberta, avec ses risques d’inondations, de glissements de terrain et de feux de forêt. En tant qu’ingénieur en géomatique, il recueille des données sur les catastrophes passées, examine les conditions actuelles et modélise la possibilité de catastrophes futures. Ce travail peut fournir des orientations sur tous les sujets, des politiques publiques à l’adéquation des sites, en passant par les mesures d’atténuation.
Comme le démontrent les incendies de forêt et les conditions météorologiques extrêmes que le Canada a subi cet été, notre monde évolue rapidement face aux changements climatiques. Bien que le travail de M. Hassan ne soit pas en mesure d’empêcher les incendies déjà existants, son travail est essentiel pour la prévention de catastrophes futures et la lutte contre ces catastrophes.
Le passé dans notre présent
« Je suis fasciné par les catastrophes depuis très longtemps, admet M. Hassan. Les catastrophes peuvent façonner notre vie, et cela a été le cas tout au long de l’histoire de la civilisation humaine. C’est la raison pour laquelle je me concentre sur les catastrophes. J’aime m’interroger sur la manière dont nous nous adaptons. Comment mettre en place des mesures d’atténuation? »
En 2021, une canicule en Colombie-Britannique a tué plus de 500 personnes. En réaction, la province s’est efforcée de modifier ses codes de construction et de revoir son système de santé afin d’éviter que cela ne se reproduise. Quazi Hassan considère ces événements comme un exemple de l’impact des catastrophes du passé sur le présent, « et de leur lien avec l’avenir », ajoute-t-il.
M. Hassan, qui enseigne à l’Université de Calgary, n’a pas toujours travaillé sur les incendies de forêt. Dans le cadre de ses études doctorales en télédétection et en modélisation environnementale à l’Université du Nouveau-Brunswick, il s’est intéressé à l’adéquation des sites.
« Disons que vous avez un terrain, devant ou derrière votre maison, dit-il. Vous savez très bien, par expérience, ce que vous pouvez y faire pousser. Maintenant, disons que je vous demande de regarder l’ensemble du Canada atlantique... Je me trouve à l’endroit A. Quel type de plantes puis-je y cultiver? »
Pour résoudre un tel problème, M. Hassan utiliserait la télédétection, qui consiste à recueillir des données sur les caractéristiques physiques d’une zone donnée, puis il élaborerait une solution technique capable d’appliquer les données à n’importe quel endroit du Canada atlantique et de fournir une liste de plantes potentielles. Il peut s’agir de données satellitaires, de données au niveau du sol, de données sur les conditions de vent ou l’humidité – tout dépend de l’information qu’on essaie de découvrir.
L’adéquation du site permet d’évaluer si un site convient à un projet particulier. On peut étudier un site pour déterminer le risque d’inondation, la migration des rivières, l’utilisation des terres, l’étendue de la couverture terrestre et, bien sûr, le risque d’incendie de forêt.
Prévoir les incendies de forêt et améliorer la résilience des communautés
Quazi Hassan utilise des informations publiques provenant de toutes les sources auxquelles il peut accéder, qu’elles soient locales, provinciales ou fédérales. « Je me concentre principalement sur les données recueillies par les satellites... En ce qui concerne les satellites, nous ne pouvons remonter que 30 à 40 ans en arrière, explique M. Hassan. Les données au sol sont une autre source… Au Canada, nous disposons d’environ 100 ans de données enregistrées. » Une fois les données collectées et leur qualité évaluée, il peut essayer de déterminer ce qui s’est passé et quelle en est la cause.
Pour déterminer la probabilité d’un incendie de forêt, M. Hassan examine plusieurs variables. Les températures sont-elles plus élevées que la normale? Les chutes de neige ont-elles été moins importantes en hiver, entraînant une diminution des précipitations au printemps? Quelle est l’humidité relative? La cause la plus fréquente des grands incendies de forêt est la foudre, et cette information doit également être prise en compte.
« Une fois qu’on a combiné tous ces facteurs, on est en mesure de dire quels sont les endroits les plus vulnérables, explique M. Hassan. Il faut étudier le passé pour comprendre ce qui s’est passé, puis on peut observer l’avenir. »
Les incendies qui ont fait rage à Slave Lake en 2011 et à Fort McMurray en 2016 sont deux événements bien connus en Alberta. M. Hassan a étudié les deux, en se concentrant sur la résilience des communautés. « J’ai regardé comment le feu s’était propagé dans la communauté et quels pouvaient être les principaux changements à apporter afin de réduire les dommages. »
Plusieurs mesures d’atténuation ont été proposées. Une route périphérique autour de l’ensemble du centre urbain pourrait servir à la fois de barrière anti-incendie, de voie d’évacuation facilement accessible et de voie d’accès pour le déploiement des services d’urgence. Pour les écoles et les grandes surfaces commerciales situées à proximité de zones forestières, les surfaces pavées et les terrains de stationnement pourraient servir de barrières entre les bâtiments et les terres boisées. M. Hassan s’est également intéressé aux matériaux de construction moins inflammables qui pourraient être utilisés pour la reconstruction et aux plantes plus résistantes au feu pour les futurs espaces verts.
La résilience des communautés peut également passer par l’amélioration des connaissances en matière de sécurité incendie. Dans les endroits où il y a un espace de 4 pieds entre les maisons isolées et la limite de propriété, il y a au total 8 pieds d’espace entre les maisons. Cet espace libre peut servir de barrière naturelle pour empêcher les incendies de se propager. Mais la plupart des propriétaires n’en sont pas conscients, et les espaces qui bordent les maisons sont remplis de bacs d’entreposage, de tas de bois, de meubles et d’autres objets inflammables, ce qui annule l’efficacité de la barrière et risque d’augmenter la probabilité de propagation du feu d’une maison à une autre.
Financer les prévisions
L’un des principaux outils de prévention des incendies est la prévision. Mais pour obtenir des prévisions régulières et fréquentes, il faut une équipe pour faire fonctionner le système. M. Hassan a mis au point un système de prévision des incendies vers 2010, soit des années avant les incendies qui ont décimé Slave Lake et Fort McMurray. En tant que chercheur, il peut mettre au point des systèmes de ce genre pour une grande variété d’endroits. Ce qu’il ne peut pas faire, c’est les faire fonctionner en continu, car cet effort soutenu nécessite une équipe opérationnelle et des ressources pour financer le travail.
Certaines grandes entreprises pétrolières et gazières disposent du personnel et de l’argent nécessaires pour soutenir ce type d’opération. Dans le nord de l’Alberta, une entreprise utilise un système développé par M. Hassan pour prévoir jusqu’à huit jours à l’avance une zone de 30 km2 autour de ses installations. Ces prévisions lui permettent de se préparer à d’éventuels incendies et lui donnent le temps nécessaire pour arrêter ses systèmes en toute sécurité et évacuer son personnel. Malheureusement, il n’est pas possible à l’heure actuelle de réaliser ce type de prévisions détaillées à plus grande échelle.
Une menace croissante
L’un des principaux problèmes est la vitesse à laquelle la température de la planète change. « Le réchauffement est très marqué... Les changements climatiques exerceront une énorme pression [sur nous], indique M. Hassan. Sur des milliers d’années, une hausse de température d’un ou deux degrés est négligeable. Mais si une augmentation d’un degré survient au cours de notre vie, l’impact sera considérable. Il ne s’agit pas seulement d’incendies, mais aussi de destructions de maisons, de réseaux de communication, de transports, de télécommunications, de toutes sortes de choses. »
C’est une réalité inconfortable que d’être confronté à un phénomène dont on peut dire, de manière quantifiable, qu’il s’aggrave d’année en année. Mais Quazi Hassan ne pense pas que nous soyons condamnés. Il est convaincu que ses travaux, et ceux d’autres chercheurs dans son domaine feront partie de la solution.
« Il s’agit essentiellement d’un problème circulaire, explique M. Hassan. Tous les éléments sont interconnectés et interdépendants. Par conséquent, une fois que nous travaillons, en particulier sur les questions environnementales, l’adaptation, la surveillance, l’atténuation... nous pouvons ralentir le phénomène et ensuite nous rétablir. »
Les catastrophes sont une question de survie. La survie passe en premier, et tout le reste vient après. C’est dans cet espace, après qu’on a survécu à une catastrophe, que M. Hassan s’attend à voir apparaître l’innovation et les possibilités. Le plus grand défi, selon M. Hassan, c’est d’avoir suffisamment d’ingénieurs à des postes de direction pour mettre en œuvre les solutions qu’ils conçoivent.
« Si vous n’êtes pas un leader, votre innovation ne se rendra jamais un point particulier. Vous ne pouvez pas atteindre le sommet parce que vous n’avez pas la possibilité d’innover », explique-t-il.
M. Hassan utilise actuellement son poste de professeur et de chercheur pour préconiser des moyens permettant aux ingénieurs d’atténuer les dommages causés par les changements climatiques, grâce à un cours qu’il a créé et qui s’intitule « Adaptation aux changements climatiques pour les ingénieurs ».
Malgré la popularité de ce cours, M. Hassan n’a réussi à le créer qu’après être devenu lui-même directeur. « Nous devons développer des compétences en leadership, explique-t-il. Cela peut être au sein de la communauté, en politique, ou dans d’autres domaines. Mais c’est cela qu’il faut faire, n’est-ce pas? Sinon, notre excellent travail s’effritera complètement au fil du temps. »
Quazi Hassan estime que les ingénieurs sont les mieux placés pour proposer des solutions aux problèmes complexes du monde réel. « Personne ne naît ingénieur, médecin ou politicien... Il faut pratiquer, se perfectionner. » Selon lui, le processus d’expérimentation, d’échec et d’innovation inhérent à la profession d’ingénieur est ce qui devra être plus important à l’avenir.
Face aux impacts imminents des changements climatiques, M. Hassan nous rappelle que tout est circulaire. « Si l’environnement se maintient, nous nous maintiendrons; si nous nous maintenons, nous prendrons soin de l’environnement. Ainsi, nous nous tendrons la main et nous travaillerons aussi longtemps qu’il le faudra. »