Les effets profonds et persistants de la pandémie de COVID-19 ont amplifié notre conscience collective en matière de santé et de bien-être psychologiques. Le bilan émotionnel de la pandémie, caractérisé par l’incertitude, l’anxiété, l’isolement et la perte, a suscité des conversations plus ouvertes sur le besoin pressant de réduire la stigmatisation de la maladie mentale et de favoriser une plus grande compassion dans l’ensemble de la société.

Même certains organismes de réglementation professionnelle, qui opèrent traditionnellement dans le cadre de règles strictes et avec une flexibilité limitée, acceptent l’évolution des priorités liées à la sécurité et au soutien psychologiques. De plus en plus, les organismes de réglementation de nombreuses professions abordent leur mandat de protection du public sous l’angle de la compassion, en cherchant à trouver un équilibre harmonieux entre leurs obligations réglementaires et la protection du bien-être des groupes intéressés et touchés, sans le compromettre.

On accorde de plus en plus d’importance à la reconnaissance des impacts psychologiques, souvent négligés, subis par les gens lorsqu’ils interagissent avec les organismes de réglementation, qu’il s’agisse de candidats à une profession, de membres du public ou de professionnels déjà inscrits. Les interactions avec les organismes de réglementation peuvent être longues, exigeantes et complexes, et entraîner des conséquences importantes qui dépendent des résultats et suscitent souvent des réactions émotionnelles intenses telles que la confusion, la peur, le stress et l’anxiété. 

L’importance de la compassion dans la réglementation 

Lorsque les ingénieurs sont confrontés à un stress, à une détresse ou à un traumatisme extrême, leur rendement quotidien peut s’en trouver considérablement diminué. Leurs réactions peuvent comprendre, notamment, une altération de la prise de décision, une réduction de l’attention et de la concentration, une baisse de la collaboration, de la difficulté à réguler les émotions et des réactions de stress accrues. En outre, les ingénieurs confrontés à ces problèmes peuvent hésiter à demander de l’aide pour diverses raisons, notamment des sentiments de honte ou des appréhensions quant à l’examen de leur capacité à continuer à exercer. 

Les délais prolongés du traitement et de la résolution des plaintes ou des procédures relatives à l’aptitude à l’exercice de la profession peuvent nuire à la réputation de l’organisme de réglementation au sein de la communauté professionnelle. Les professionnels peuvent manquer de confiance envers leur organisme de réglementation et avoir l’impression que les attentes de ces organismes sont de plus en plus éloignées des réalités de la pratique quotidienne. 

Les dossiers de l’Agence australienne de réglementation des professionnels de la santé révèlent que les praticiens subissent souvent des niveaux de stress élevés et des effets négatifs sur leur vie personnelle et professionnelle lorsque des plaintes sont déposées contre eux. En même temps, les plaignants – dont beaucoup ont subi un incident émotionnellement difficile à l’origine de la plainte – expriment souvent des préoccupations concernant le manque de clarté et d’équité du processus de traitement des plaintes. 

La compassion devient un élément important pour renforcer la capacité des organismes de réglementation à soutenir les personnes visées par la réglementation, ce qui peut contribuer à dissiper les notions répandues selon lesquelles ces organismes et leurs outils n’existent qu’à des fins punitives. 

Comment les organismes de réglementation du génie civil peuvent favoriser la compassion   

Pour adopter une approche plus empathique de la réglementation, il faut d’abord que les organismes de réglementation du génie reconnaissent comment leurs interactions peuvent être interprétées et leur influence potentielle sur la santé et le bien-être psychologiques des inscrits et du public. Au Royaume-Uni, par exemple, le Collège royal des chirurgiens vétérinaires a fait de la compassion une valeur fondamentale et une ambition centrale de son plan stratégique actuel.

Une approche à visage humain n’exige pas de compromettre les normes professionnelles. Au contraire, elle dépend d’une communication claire et opportune et insiste sur l’importance de processus réglementaires fondés sur les principes d’équité, de transparence et de responsabilité. Ces valeurs s’alignent sur les principes clés de la réglementation adaptée (dite « right-touch »), un autre cadre réglementaire essentiel axé sur l’adoption de mesures proportionnelles aux risques associés. 

Les organismes de réglementation du génie pourraient éventuellement améliorer leur approche de la réglementation à visage humain en mettant en œuvre des changements ciblés en matière de comportements et de procédures.   

Sur le plan comportemental, le personnel des organismes de réglementation pourrait se concentrer sur les points suivants : 

  • Prioriser une communication empathique et émotionnellement intelligente
  • Améliorer la connaissance du rôle des organismes de réglementation
  • Fournir des informations claires sur les processus, les délais et les résultats potentiels
  • Réduire au minimum l’utilisation du jargon technique ou juridique 
  • Pratiquer une écoute active et objective
  • Proposer des ressources ou des soutiens supplémentaires, le cas échéant

Sur le plan des procédures, les stratégies visant à créer un espace plus empathique dans le cadre réglementaire sont les suivantes : 

  • Élaborer des modèles pour améliorer la cohérence et la qualité des communications régulières
  • Améliorer le ton de la correspondance pour qu’elle soit moins accusatoire et chargée de jargon 
  • Établir une fréquence de communication appropriée
  • Reconnaître que certaines interactions avec les organismes de réglementation peuvent être stressantes
  • Privilégier les solutions correctives et de soutien plutôt que les approches accusatoires

La compassion est-elle une qualité appropriée pour les organismes de réglementation du génie? 

Bien qu’une plus grande compassion puisse présenter des avantages, elle soulève une question pertinente quant à son adéquation dans le cadre d’un régime traditionnellement axé sur la surveillance. Le premier devoir des organismes de réglementation est de protéger le public et de veiller à ce que seules les personnes qualifiées et compétentes détiennent un permis d’exercice. L’adoption d’une approche empathique pourrait être considérée comme un soutien injustifié des praticiens, dépassant le mandat de l’organisme de réglementation ou même approuvant par inadvertance ceux qui ne sont peut-être pas aptes à continuer d’exercer.

Toutefois, l’adoption d’une approche empathique ne nécessite pas que l’on s’écarte des responsabilités de protection des organismes de réglementation. Ceux-ci peuvent remplir leur mission de protection du public tout en tenant compte des complexités et des nuances du bien-être des ingénieurs. Cela implique de reconnaître les pressions inhérentes aux rôles professionnels des ingénieurs et de s’attaquer aux points sensibles des processus réglementaires.  

La mise en œuvre d’une réglementation bienveillante repose sur la compréhension cruciale du fait qu’elle vise des personnes réelles ayant des expériences vécues uniques. Il s’agit d’un modèle intrinsèquement centré sur les personnes, qui dépend d’une communication efficace, d’une assistance opportune, d’un traitement respectueux et de la disponibilité de soutiens appropriés.

Lorsque les organismes de réglementation du génie interagissent avec les titulaires de permis ou le public, ils ont une occasion précieuse d’intégrer des interventions réglementaires proportionnées à une approche empathique. La mise en œuvre de changements comportementaux et procéduraux peut contribuer à réduire les niveaux de stress ou d’autres réactions psychologiques négatives, tant pour les inscrits que pour le public. 

Bibliographie 

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