Traditionnellement, les professions autoréglementées comptaient sur un réseau fermé de professionnels pour gouverner leurs pairs. Ils s’appuyaient sur leur expertise commune pour décider des qualifications nécessaires à l’entrée dans la profession et fixer des normes d’exercice. Ils recevaient les plaintes, procédaient à des enquêtes et imposaient des mesures disciplinaires, le cas échéant. Les praticiens peuvent être tentés d’occuper bénévolement des postes de gouvernance par souci de contribuer à la profession et d’assurer une continuité réglementaire.
Mais ces dernières années, les structures de gouvernance actuelles ont fait l’objet d’une remise en question, car elles reposent sur des bénévoles et reviennent finalement à laisser les professionnels s’autogouverner. Ces interrogations sont nées de certains constats : écueils de l’autoréglementation, appels lancés par des parties externes en vue de mieux surveiller la profession, et changement de regard de la société quant aux principes d’équité, de diversité et d’inclusion.
De nombreux organismes réglementant des professions, tous secteurs confondus, ont sous-estimé les difficultés et les risques liés à l’exercice de la gouvernance par des bénévoles. Par exemple, un rapport de la Professional Standards Authority publié en 2019 sur l’efficacité de la réglementation de Professional Engineers Ontario (PEO) signale que « le bénévolat est un thème fort de la vision que PEO a de lui-même » et que PEO est fier du volume et de l’engagement de ses bénévoles, qui contribuent à la prestation de ses services. Cependant, le rapport note que l’organisme dépend d’un trop grand nombre de bénévoles dont le niveau d’expertise est variable, ce qui signifie que « cette structure compliquée, dirigée par des bénévoles, représente bien plus une entrave qu’une aide ». Les bénévoles « exercent un contrôle important sur PEO mais ne sont pas tenus de rendre des comptes de la même manière que le personnel professionnel » et « ne sont pas évalués en fonction de leur rendement ».
Les bénévoles participant à la gouvernance de professions autoréglementées doivent prendre des décisions, mettre en œuvre des processus, et faire preuve d’une conduite irréprochable. Ils sont souvent élus en dehors de tout processus délibéré. Ils ne font pas forcément l’objet d’un processus de sélection et ne sont pas tenus de suivre une formation exhaustive. Pourtant, ils prennent des décisions qui ont d’importantes répercussions sur le fonctionnement et la réputation d’une profession.
Les pratiques exemplaires évoluent quant au fonctionnement des conseils. En mars 2019, la Professional Standards Authority (PSA) du Royaume-Uni a publié un rapport sur les pratiques exemplaires en matière de nominations aux conseils d’administration. Elle suggère par exemple de réduire la taille du conseil, de remplacer le système des élections par un système plus rigoureux de nominations fondées sur le mérite, et d’adopter un régime de rémunération traduisant le niveau d’expertise requis pour assumer des fonctions données. Les fonctions de gouvernance des organismes de réglementation en génie sont essentiellement les mêmes que celles d’autres conseils d’administration. Dans ce sens, on peut tirer des leçons des changements apportés à l’heure actuelle dans le secteur public, parapublic et privé.
« Il ne suffit pas d’être membre de la profession pour siéger efficacement au conseil d’administration. Il faut trouver le candidat le plus qualifié pour le poste », explique Greg Cavouras, avocat chez Sugden, McFee & Roos LLP, spécialisé en droit administratif et réglementation professionnelle. « Cela signifie qu’il faut trouver les personnes qui comprennent vraiment bien le mandat de protection du public de l’organisme de réglementation et qui sont prêtes à faire passer cela avant tout. De nombreux membres servent très bien leur organisme de réglementation en tant que bénévoles. Mais pour ces organismes, le défi consiste à s’assurer qu’ils peuvent compter sur les personnes les plus qualifiées pour effectuer le travail. Il faut donc examiner attentivement le processus de recrutement, de sélection et d’évaluation des candidats avant de doter des postes aussi importants. Le seul fait qu’un candidat soit titulaire d’un permis d’exercice ne devrait plus suffire. Ce n’est pas parce que l’on est un ingénieur qualifié que l’on peut réglementer la profession dans l’intérêt public. »
Dans bon nombre de ses rapports de recherche et d’examens des organismes de réglementation, la PSA demande une plus grande représentation du public au sein des conseils d'administration. Par exemple, dans un rapport publié en 2018, portant sur l’examen de l’organisme de réglementation de la dentisterie en Colombie-Britannique, la PSA résume la situation comme suit : « Dans l’intérêt de la société dans son ensemble, une profession doit être réglementée par le public et par les membres de la profession – cette responsabilité doit être partagée ». Étant donné que les organismes de réglementation doivent gouverner dans l’intérêt public, il est important que des représentants du public n’étant pas soumis à la réglementation, exercent des fonctions de gouvernance et participent aux décisions. Si une partie des fonctions du conseil d’administration est réservée à des représentants du public n’appartenant pas à la profession, la réglementation n’en sera que plus efficace. Cette formule renforce aussi la confiance du public envers la profession et règle en partie la question de la « gouvernance intéressée ».
De nombreux organismes de réglementation organisent encore des élections pour doter des postes au conseil. Ils craignent de rejeter le petit nombre de candidats intéressés et de nuire aux liens des membres avec la profession. Un candidat à un poste d’administrateur au sein d’un organisme de réglementation du génie n’est pas soumis aux mêmes normes qu’un candidat à un poste au sein de l’effectif, ni au même degré de diligence. Pour améliorer la qualité de la gouvernance, il faudrait donc faire preuve d’une plus grande diligence au moment de recruter, de sélectionner et de former les futurs membres d’un conseil d’administration.
Il suffit de se concentrer sur les compétences plutôt que sur le statut de membre pour qu’un organisme de réglementation élargisse son bassin de candidats et trouve les personnes les plus aptes à exercer des fonctions de gouvernance. Par exemple, le Saskatchewan Professional Teachers Regulatory Board compte neuf administrateurs. Deux de ces membres représentent le public et sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. Sept enseignants certifiés sont nommés par des organismes externes (le ministère de l’Éducation, la Saskatchewan Teachers’ Federation et la League of Educational Administrators, Directors, and Superintendents) selon un système de sélection fondée sur les compétences.
Dans de nombreux secteurs, le travail au sein d'un conseil d'administration est rémunéré et le rendement des membres est évalué. En greffant au poste une rémunération autre que le remboursement des dépenses de base, on est plus susceptible d’attirer des candidats qui, autrement, ne manifesteraient aucun intérêt à l’égard de ces fonctions, ou qui ne sont pas en mesure de sacrifier d’autres engagements. Les membres d’un conseil d’administration qui reçoivent une rémunération officielle et qui font l’objet d’une évaluation en bonne et due forme pourront plus facilement être tenus responsables de leur travail.
La réglementation continue d’évoluer et on peut difficilement prendre le risque de réfléchir « après coup » au rôle de la gouvernance et aux effets des représentants du conseil d’administration. Les organismes de réglementation du génie peuvent évaluer les fonctions et les pouvoirs accordés aux bénévoles et adopter pour leur gouvernance interne une approche axée sur le risque, tout comme ils le font avec les professionnels dirigeants. Les organismes de réglementation du génie pourraient commencer par évaluer la structure de leur conseil d’administration et songer à plutôt adopter un modèle fondé sur les compétences, en vertu duquel on cherche les candidats le plus qualifiés pour diriger l’organisation et prendre des décisions qui répondent au mandat de protection du public.
Ressources :
Cavouras, Greg, Graeme Keirstead, et Thomas Lutes. 2020. Able or just willing? A discussion of the evolving role of volunteers in professional regulation. Présenté dans le cadre de la conférence 2020 Réseau canadien des organismes de réglementation (RCOR).
Durcan, Rebecca. 2016. Screening Committee Members. SML-Law Grey Areas Newsletter.
Maciura, Julia. 2018. 92% (Should professional members of regulatory Boards / Councils be elected by the membership or should they be selected by a merit-based process?) SML-Law Grey Areas Newsletter.
Professional Standards Authority. 2018. An Inquiry into the performance of the College of Dental Surgeons of British Columbia and the Health Professions Act.
Professional Standards Authority. 2019. A review of the regulatory performance of Professional Engineers Ontario.
Professional Standards Authority. 2019. Good practice in making council appointments: Principles, guidance and the scrutiny process for regulators making appointments which are subject to section 25C scrutiny.
Saskatchewan self-regulating professions working group. Forum sur la gouvernance de la réglementation. Novembre 2020. Diapositives disponibles sur demande.