L’an dernier, Ingénieurs Canada a fusionné son travail de rayonnement et d’engagement et ses activités de promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion dans la profession. La nouvelle équipe ainsi formée, l’équipe Appartenance et engagement, dirige les travaux en lien avec deux des dix objectifs fondamentaux d’Ingénieurs Canada. Pour atteindre ces objectifs, l’équipe Appartenance et engagement dirige plusieurs programmes et initiatives et élabore des ressources clés pour la profession. Qu’il s’agisse de la Conférence annuelle 30 en 30, du travail visant la réconciliation en ingénierie, de la recherche nationale ou de la gestion de programmes et de comités nationaux, cette équipe joue un rôle essentiel dans les efforts déployés par Ingénieurs Canada pour améliorer l’équité, la diversité et l’inclusion dans le domaine du génie.
Yasemin Tanaçan-Blacklock, qui fait partie de cette équipe, est la conseillère, Équité et appartenance d’Ingénieurs Canada. Dans cet entretien, elle nous parle de son travail, qui consiste à interagir avec les principales parties prenantes et à les mobiliser, et à guider les efforts internes et externes d’Ingénieurs Canada pour promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI).
Parlez-nous de votre rôle de conseillère en matière d’équité et d’appartenance. Quelles sont vos principales responsabilités?
Comme mon titre l’indique, ma principale responsabilité est de donner des conseils sur l’équité, l’appartenance et la réconciliation dans l’ensemble de l’organisation. J’organise nos groupes et notre réseau 30 en 30, le Comité consultatif autochtone et le Réseau pour la décolonisation et l’autochtonisation de la formation en génie, et je dirige la recherche menant à l’élaboration de ressources telles que le Complément du Guide sur l’équité pour les femmes dans les milieux de travail, le Guide sur la reconnaissance des territoires ancestraux des Premières Nations et le rapport national d’enquête sur les effectifs. Je travaille avec notre équipe sur les stratégies d’EDI, comme l’élaboration de la stratégie de recherche nationale et la stratégie d’engagement des employeurs. Je joue également un rôle dans l’organisation de la Conférence annuelle 30 en 30. Je pense cependant que ma tâche la plus importante consiste à faciliter un espace et les connexions entre les personnes en marge de la profession d’ingénieur. Je crois que pour être efficace, l’EDI doit refléter la communauté qu’elle sert – et c’est pourquoi être une personne-ressource pour cette communauté est un honneur et un privilège.
Comment abordez-vous le travail sur l’équité, la diversité, l’inclusion et l’appartenance?
J’aborde mon travail en fonction de quelques grands thèmes :
L’intersectionnalité : Il n’existe pas d’expérience universelle unique en matière d’identité, et toutes les formes d’oppression sociale sont interreliées et inséparables.
Le désapprentissage : Nous devons reconnaître que la manière dont nous appréhendons actuellement le monde est façonnée par des systèmes d’oppression, et que nous devons nous impliquer et nous débarrasser de ces comportements avant de pouvoir les remplacer par des comportements plus équitables et plus justes.
L’aspect personnel : L’équité, la diversité, l’inclusion et l’appartenance concernent en fin de compte les gens et la manière dont ils travaillent, vivent, apprennent et interagissent les uns avec les autres. Se centrer sur l’expérience vécue permet de s’assurer que les bonnes voix sont au premier plan de ce travail.
L’aspect contextuel : Aucune profession ou organisation n’existe en vase clos, tout est informé et façonné par la société dans son ensemble. Le fait de suivre les mouvements et les changements plus larges en matière de justice sociale garantit que le travail reste pertinent.
Qu’est-ce qui vous a incitée à travailler dans le domaine de l’équité, de la diversité et de l’inclusion?
En grandissant, j’ai été exposée aux principes féministes par la pratique, pas nécessairement nommément. J’ai obtenu mes diplômes en science politique et en études de genre, et je me suis concentrée sur les politiques d’identité et les systèmes d’oppression sociale et de pouvoir. Je me suis sentie à l’aise en apprenant le langage de la théorie féministe et des théories connexes de lutte contre l’oppression (comme l’anti-impérialisme et la théorie critique de la race), et j’ai poursuivi dans cette voie. Je suis également très persévérante, de sorte que cette carrière correspond tout à fait à ce trait de caractère! Je me sens très chanceuse d’avoir pu façonner un parcours universitaire et professionnel qui combine mes passions, mes intérêts, mon éducation et ma personnalité, et je ne me vois pas faire autre chose.
De quelle manière collaborez-vous avec les organisations d’ingénieurs, les professionnels et les établissements d’enseignement pour faire progresser la diversité et l’inclusion dans le domaine du génie?
C’est une question difficile, parce que tout notre travail est basé sur l’impact collectif... donc de toutes les manières! Pratiquement toutes les ressources, tous les événements, toutes les initiatives et tous les rapports sont le fruit de la collaboration de nombreuses personnes, issues de tous les secteurs de la profession d’ingénieur, et d’ailleurs. Tout le monde a un rôle à jouer dans la justice sociale, des organismes de réglementation aux établissements d’enseignement, en passant par les employeurs et les étudiants. Il est donc important de nous assurer que notre champ d’action est étendu, tout en étant propre à différentes positionnalités.
Pourriez-vous décrire une réussite ou un résultat positif découlant des efforts déployés par Ingénieurs Canada pour promouvoir l’équité et l’appartenance?
Parce que notre travail est toujours en cours et qu’il s’appuie sur des travaux antérieurs, il est difficile de mettre le doigt sur un seul résultat. Il reste toujours davantage à faire et beaucoup de chemin à parcourir. Je dirais que ce que perçois comme étant un vrai succès, ce sont les relations que nous établissons avec les personnes sur lesquelles notre travail a un impact. Instaurer la confiance parmi les personnes avec lesquelles nous sommes solidaires, au point qu’elles sont disposées et ouvertes à partager leurs histoires avec nous, c’est un sentiment extrêmement puissant!
Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait renforcer dans l’avenir l’équité et l’appartenance au sein de la profession d’ingénieur?
Il faut continuer à se familiariser avec la théorie de l’intersectionnalité. Le terme « intersectionnalité » a été inventé par Kimberlé Crenshaw en 1989, mais le concept sous-jacent est un élément important du féminisme noir depuis des centaines d’années. L’intersectionnalité n’est pas la même chose que la positionnalité, ce n’est pas un descripteur d’identité (on ne peut pas parler des « intersectionnalités » d’une personne).
Les femmes de couleur rencontrent des obstacles uniques dans le domaine du génie, en raison de l’intersection du racisme et de la discrimination systémiques liés au genre. Une ingénieure autochtone sera confrontée à des obstacles différents de ceux rencontrés par une ingénieure blanche cisgenre aisée et sans handicap ou par une ingénieure noire transgenre qui a immigré au Canada après avoir été formée à l’étranger. Chacune de ces personnes a le même droit de revendiquer l’expérience de la féminité, même si cette expérience diffère de celle des autres. C’est une façon d’envisager l’intersectionnalité, comme une lentille permettant de reconnaître que chacune de ces femmes a un droit égal à l’expérience de la féminité et que, par conséquent, nous devons tenir compte de la race, de la classe, de l’(in)capacité et d’autres catégories sociales lorsque nous élaborons des initiatives pour promouvoir l’autonomisation des femmes.
Lorsque l’intersectionnalité est pleinement réalisée et comprise, elle constitue un outil extrêmement puissant pour faire advenir la justice sociale, car elle exige que nous reconnaissions que le patriarcat est raciste, que le racisme est influencé par la classe, que la classe est façonnée par l’(in)capacité, et ainsi de suite. Si cette compréhension devient plus répandue, je pense que la profession d’ingénieur atteindra plus rapidement un espace d’équité et d’appartenance.