Photo par Tim Mah © 2023
John Desnoyers-Stewart utilise sa formation en génie pour appliquer des processus créatifs et artistiques à ses recherches technologiques, découvrant ainsi de nouvelles possibilités de technologies transformatrices.
Titulaire d’un diplôme en génie des systèmes industriels, John Desnoyers-Stewart a commencé par travailler dans le domaine du développement de produits. Il était constamment frustré de se retrouver dans des situations où l’on demandait aux ingénieurs de résoudre des problèmes, alors que l’entreprise avait déjà décidé des solutions souhaitées. Il n’y avait pas de place pour l’innovation ou la créativité. Il trouvait cette situation étouffante. C’est cette contrainte qui l’a ramené à ses racines artistiques, à la recherche de l’étincelle qu’il avait laissée derrière lui pendant ses études de premier cycle. Lorsqu’il a entrepris une maîtrise en beaux-arts en 2016, il s’est assuré, cette fois, d’intégrer son expertise en génie à ses projets artistiques, en se concentrant sur les technologies créatives et l’informatique.
Maintenant doctorant en arts et technologies interactifs à l’Université Simon Fraser, John Desnoyers-Stewart se spécialise dans les installations artistiques immersives, réalisées en combinant des processus artistiques créatifs et des principes d’ingénierie afin d’explorer les possibilités de la technologie transformatrice. La technologie évolue rapidement et nos façons de l’utiliser se transforment également. Nous nous servons de la technologie pour communiquer, socialiser et nous aider à résoudre des problèmes. M. Desnoyers-Stewart étudie cette intersection entre la conception technologique et les expériences qu’elle crée afin de poursuivre une approche de la technologie qui explore pleinement les possibilités qu’elle offre de remodeler la société tout en se centrant sur les relations humaines.
Découvrir l’univers à travers les yeux d’un enfant
La naissance de son premier enfant a apporté à John une toute nouvelle perspective sur son travail. « J’ai été très inspiré de la voir découvrir le monde », explique-t-il. À l’époque, il cherchait à repousser les limites de ce qui était possible dans un environnement de réalité virtuelle (RV), et c’est en observant sa fille qu’il a eu l’idée d’explorer les possibilités d’un monde ludique et interactif.
« Star-Stuff a été une merveilleuse occasion de plonger dans cet univers et de m’amuser vraiment à jouer. Je me suis laissé guider par mon intuition et j’ai laissé la conception s’épanouir. Le concept de base est parti d’un espace très abstrait : qu’est-ce que cela ferait d’être une galaxie? De rencontrer une galaxie? C’est de cette idée qu’est né Star-Stuff. En tant que programme de RV, Star-Stuff : a way for the universe to know itself, vous permet d’occuper une galaxie et d’interagir virtuellement avec une autre personne, en partageant un moment ensemble pour jouer avec les étoiles dans vos orbites. »
Pour un concept aussi éthéré et vertigineux que la création d’un corps composé d’étoiles, l’exécution a nécessité beaucoup de science et d’ingénierie. Le rapport entre les types d’étoiles – géantes rouges, géantes bleues et naines rouges – correspond exactement à celui que l’on trouve dans notre propre galaxie, tout comme l’est l’évolution stellaire. L’expérience est actuellement basée sur des projections, de sorte que jusqu’à six enfants peuvent jouer en même temps. Lorsqu’ils interagissent avec les projections, les étoiles gravitent autour d’eux et se déplacent en fonction de leurs mouvements. Il s’agit d’une leçon implicite et tactile sur la gravité, rendue possible uniquement grâce à des simulations de dynamique des fluides et des calculs simplifiés qui simulent le mouvement de dizaines de milliers d’étoiles.
Devenue l’une des œuvres les plus réussies de John Desnoyers-Stewart, Star-Stuff a fait le tour du monde dans de nombreux festivals avant d’être accueillie en 2022 au H.R. MacMillan Space Centre, à Vancouver, en Colombie-Britannique.
« Cela m’a vraiment aidé à consolider certaines de mes idées sur la façon dont le processus créatif peut fonctionner, dit-il. J’ai essayé d’explorer dans mon travail une approche plus ouverte de la conception, en suivant la conception pour voir où elle me mène. »
À son avis, avec la méthode de conception habituelle, il faut préciser ce que le résultat final devrait être avant même de commencer. Cela ne laisse aucune place à l’exploration ou à l’innovation. En faisant confiance au processus artistique, M. Desnoyers-Stewart arrive à trouver des façons de pousser la technologie dans des directions totalement nouvelles.
La respiration synchronisée
Si Star-Stuff permet aux enfants d’utiliser la RV et les projections pour expérimenter le mouvement d’une nouvelle manière, JeL pourrait être considéré comme un exemple d’expérience interactive et partagée qui ne nécessite presque aucun mouvement physique. À l’origine, JeL était une combinaison de RV et de technologie de rétroaction biologique (ou biofeedback) qui permettait à une personne d’utiliser sa respiration pour contrôler des méduses virtuelles. Lorsqu’au moins deux personnes respiraient de façon synchronisée, elles pouvaient faire pousser un récif corallien virtuel.
Pour un ingénieur, la synchronisation est très spécifique. Il faut synchroniser la phase, la fréquence et l’amplitude pour obtenir une expérience totalement synchronisée. Dans le cas d’une personne réelle, bien sûr, cette définition ne fonctionne pas du tout.
« Les personnes ayant des morphologies différentes vont respirer à des rythmes différents, même si cette différence est infime, ou à des amplitudes différentes. Et ce qui semble confortable et relaxant pour une personne peut potentiellement ne pas l’être pour une autre », explique M. Desnoyers-Stewart.
Un nouveau projet de synchronisation de la respiration est en cours de création en collaboration avec des étudiants en génie physique de l’Université de la Colombie-Britannique, dans le cadre de leur projet de conception final. Une équipe travaille à la conception de « fauteuils de respiration » qui seront connectés à Internet et permettront aux utilisateurs de synchroniser leur respiration depuis n’importe où dans le monde.
« Une grande partie de ce travail est centrée sur le lien social. De nombreuses recherches montrent que le fait de se synchroniser avec une autre personne peut créer un sentiment de connexion », explique M. Desnoyers-Stewart. La connexion et l’intégration sociales font partie intégrante de son travail.
« Nous devons explorer davantage la façon d’intégrer notre expérience du monde réel et du monde virtuel afin d’expérimenter le monde réel d’une nouvelle manière », dit-il. En travaillant sur le projet de fin d’études, M. Desnoyers-Stewart a l’occasion d’enseigner aux étudiants non seulement comment jeter des ponts entre les disciplines, mais aussi la nécessité d’envisager les répercussions de leur travail au-delà des calculs. La conception finale du projet ne concerne pas seulement le produit – le fauteuil lui-même – mais aussi le type d’expérience qu’il créera pour ses utilisateurs.
« C’est vraiment bien pour les étudiants d’apprendre à quel point les expériences individuelles peuvent être variables et de comprendre le lien entre quelque chose de très concret et tangible, comme la taille d’un tuyau, et l’expérience réelle que cela crée pour quelqu’un. Nous travaillons avec eux pour les aider à mieux comprendre le système de conception et faire le lien entre les aspects mécaniques et l’expérience vécue. »
John Desnoyers-Stewart aimerait que le public également s’intéresse à ce sujet. La technologie a une incidence sur la vie des gens, leurs corps et leurs relations. Il aimerait que les gens réfléchissent à la manière dont ils utilisent la technologie et à l’impact qu’elle a sur eux en retour.
Voir le son avec des yeux nouveaux
L’une des avenues constamment explorées par Desnoyers-Stewart est la manière dont la technologie peut créer une expérience vécue partagée, par opposition à une expérience isolée ou seulement virtuelle. Synedelica est un projet en cours qui permet aux participants d’explorer le monde réel d’une nouvelle manière grâce à la RV. Les images du programme sont créées par le paysage sonore qui entoure la personne. Les basses fréquences sont représentées par des ombres et les hautes fréquences par des reflets lumineux, transformant sa perception de la réalité.
« On peut l’imaginer comme… un affichage de différentes bandes de fréquences, comme dans une radio d’auto sophistiquée des années 1990 », explique M. Desnoyers-Stewart.
Dans un festival de musique, Synedelica crée une expérience visuelle et sonore tout à fait unique. « J’ai assisté à un festival de musique où j’ai distribué le casque de RV, et les gens se sont mis à se le passer et à le partager socialement. Quand j’ai vu qu’il ne s’agissait pas seulement de l’expérience sociale offerte par le casque, mais aussi du partage de l’expérience, cela a totalement transformé pour moi le concept de ce qui était possible avec cette technologie. »
John Desnoyers-Stewart a l’intention de faire connaître Synedelica dans d’autres festivals de musique. Il travaille avec une équipe d’artistes visuels et de la scène, et de créateurs de costumes pour voir comment l’expérience peut être améliorée et partagée. Il collabore également avec un artiste du mouvement, qui est sourd, pour voir si Synedelica peut être utilisé pour créer une expérience de festival de musique accessible aux personnes sourdes et malentendantes.
Éthique et exploration
Ce genre d’exploration et d’engagement est crucial pour ce que John Desnoyers-Stewart veut accomplir dans son travail.
« Il y a une sorte d’engagement critique que l’on ressent souvent lorsqu’on crée une œuvre d’art et que l’on comprend profondément la technologie. On s’engage souvent très profondément dans l’éthique et les impacts potentiels. »
Selon lui, le plus grand défi auquel les ingénieurs sont confrontés est l’érosion potentielle de la responsabilité au sein de la profession d’ingénieur.
« C’est cette idée d’aller vite et de casser des choses. Nous ne pouvons pas nous permettre ce genre d’attitude avec des choses qui ont une incidence sur notre vie quotidienne et la façon dont nous interagissons les uns avec les autres », affirme M. Desnoyers-Stewart. Pour lui, il n’y a rien d’intrinsèquement bon ou mauvais dans la technologie – tout dépend de la façon dont elle est utilisée. En tant que titulaires de permis d’exercice et membres d’une profession réglementée, les ingénieurs ont un grand engagement et une solide compréhension de l’éthique, qu’ils aimeraient voir imités par d’autres professions, en particulier les nouvelles professions qui recoupent le génie, comme l’IA ou le développement de logiciels.
Le génie lui-même évolue rapidement et de façon spectaculaire. En tant qu’ingénieur et artiste, John Desnoyers-Stewart estime que l’accroissement de la diversité, les nouvelles perspectives et les projets interdisciplinaires constituent un changement positif pour la profession. Le génie devrait embrasser ces changements et faire preuve de souplesse et d’ouverture, tout en restant fidèle à sa philosophie : « Le code de déontologie constitue l’épine dorsale de la profession d’ingénieur, en particulier au Canada, où il constitue vraiment un élément clé de la profession. »
John Desnoyers-Stewart conseille aux nouveaux ingénieurs d’élargir leurs horizons, de reconnaître la valeur de leurs divers talents et d’explorer comment ils pourraient intégrer ces talents pour contribuer à l’amélioration de la profession.
Star-Stuff est également disponible pour le casque de RV Meta Quest sur AppLab. Pour voir d’autres travaux de John Desnoyers-Stewart, consultez sa biographie.