Sean Maw, ingénieur sportif, a travaillé à l’amélioration de la sécurité, de la performance et de la réglementation de nombreux sports au Canada. Il utilise aujourd’hui les leçons tirées de sa carrière pour aider les futurs ingénieurs.
Le sport est une industrie multimilliardaire. Les sports sont regardés par des millions de personnes dans le monde entier, et les athlètes sont admirés pour leurs habiletés et leurs performances dans leur domaine. Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est la quantité d’ingénierie qui se déploie en coulisses pour assurer la sécurité des athlètes, améliorer leurs performances et créer des règlements pour suivre l’évolution rapide des technologies dans le domaine du sport.
Sean Maw, P. Eng, est un ingénieur du sport expérimenté. Après avoir créé des coussins amortisseurs améliorés pour le patinage de vitesse, testé des combinaisons mono-pièce aérodynamiques ou mené des recherches en physique pour aider à réglementer le curling, M. Maw est reconnu depuis longtemps comme un acteur incontournable de la scène sportive canadienne. Son expérience du travail fascinant dans les coulisses lui a donné une perspective unique sur la technologie dans le sport et l’avenir de l’ingénierie.
Établir une norme olympique
Lorsque Sean Maw s’est installé à Edmonton en 1994, il s’est rapidement impliqué en tant qu’entraîneur dans la communauté albertaine du patinage de vitesse, et sa présence a débouché sur une offre d’emploi sur des projets d’ingénierie à l’anneau olympique de Calgary. « Cette offre correspondait un certain nombre de mes intérêts, indique M. Maw, notamment mon intérêt pour l’ingénierie et mon intérêt pour le sport, qui s’était développé au fil des ans. J’ai donc accepté un poste à l’anneau olympique et j’ai commencé à travailler avec les équipes de patinage de vitesse sur longue piste et sur courte piste. »
Ce travail a commencé par l’étude des performances des équipements et des moyens de les améliorer. C’est ce travail qui a amené Sean Maw à être sollicité par le Comité des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver en 2010 pour concevoir, avec l’ingénieur en mécanique Clifton Johnston, des coussins amortisseurs pour les anneaux de patinage sur longue et courte piste de Vancouver. « Nous nous sommes surtout intéressés à la structure interne des coussins, aux types de mousses et à la manière de juxtaposer ou d’ordonner les couches », explique M. Maw. Les deux ingénieurs ont travaillé à l’optimisation de l’assemblage, de la structure interne, des matériaux utilisés et de la façon dont ils sont reliés les uns aux autres. Tous ces facteurs ont une incidence sur la capacité des matelas absorbeurs à amortir le choc lorsqu’un patineur tombe et vient heurter la bande à grande vitesse.
Bien que ce travail ait été effectué expressément pour les Jeux olympiques, il a entraîné des changements dans les normes de protection des coussins amortisseurs utilisés pour le patinage de vitesse dans tout le Canada. Ces normes ne concernent pas seulement les protections elles-mêmes, mais aussi le système permettant de les appliquer pour qu’elles soient facilement accessible aux clubs de tout le pays. « Dans un contexte communautaire, il faut se demander : Où placer les coussins? Quelle épaisseur peuvent-ils avoir ? Comment les rendre pratiques pour que les clubs de patinage de vitesse aient les moyens de se les procurer ? », indique M. Maw. Les normes actualisées ont abordé l’aspect situationnel du sport comme un élément à prendre en compte lors de l’adoption de mesures de sécurité.
Accroître la vitesse aérodynamique
Tout en veillant à la sécurité des patineurs de vitesse, Sean Maw s’est efforcé d’accroître leur vitesse grâce à leur équipement, en particulier leurs combinaisons mono-pièce. Pour tester la conception et les tissus des combinaisons, messieurs Maw et Johnston ont emmené les athlètes dans des souffleries à Ottawa et au Texas afin d’évaluer directement l’aérodynamisme de leur équipement, c’est-à-dire de voir dans quelle mesure ils pouvaient réduire la friction des combinaisons et ainsi augmenter la vitesse des athlètes.
Trois facteurs ont un impact sur la traînée aérodynamique. Les deux premiers sont la zone frontale transversale et le profil transversal, qui sont fonction du corps du patineur et de la façon dont il est positionné face au vent. Le troisième, en revanche, est la texture de surface; c’est pourquoi messieurs Maw et Johnston ont testé différentes textures sur différentes surfaces : sur les bras et les jambes en mouvement, sur l’abdomen et sur le dos, entre autres.
« C’était un travail fascinant, parce que c’est vraiment cool de jouer dans une soufflerie en tant qu’ingénieur, et c’était réellement intéressant de voir les effets des différentes combinaisons sur l’aérodynamisme des athlètes, se souvient M. Maw. Nous leur avons fait prendre différentes positions dans la soufflerie. Nous avons fait des exercices de sillage ou prise d’aspiration et toute une série d’expériences intéressantes ». Les deux ingénieurs ont également testé des éléments qui ne viennent pas immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle de performance, comme les lunettes de sport et la façon dont les athlètes placent leurs cheveux dans leur capuchon, en veillant à ne pas enfreindre les règles interdisant de « bourrer » le capuchon pour augmenter la vitesse.
Le dopage technologique
Les travaux de Sean Maw dans ces domaines l’ont également amené à s’intéresser de près au « dopage technologique », qui se définit comme l’utilisation de la technologie pour procurer un avantage concurrentiel déloyal aux athlètes. Il s’agit d’une ligne délicate à ne pas franchir. À quel moment la technologie passe-t-elle de l’optimisation légale des performances au dopage illégal ?
M. Maw a comparé ce phénomène à une sorte de course à l’armement dans le sport, où des pays investissent de l’argent dans des technologies extrêmement coûteuses qui procurent les quelques secondes d’avance qui peuvent faire la différence entre une médaille ou une absence totale du podium. Leur utilisation accrue pourrait créer des situations dans lesquelles seuls les athlètes et les pays riches pourraient gagner au niveau international. C’est en raison des problèmes liés à l’éthique professionnelle que M. Maw estime qu’il est extrêmement important pour le sport de pratiquer la gérance technologique. « Une fois que vous avez ouvert la boîte de Pandore, il est difficile de revenir en arrière, dit-il. La gérance technologique est très importante dans le sport, mais le sport ne fait pas toujours du bon travail en ce qui concerne la gérance de l’utilisation de la technologie. »
Il existe de nombreux exemples de cela dans l’histoire du sport. En patinage de vitesse, les combinaisons sont actuellement soumises à peu de restrictions, alors que des sports comme la natation sont soumis à davantage de règles. En patinage de vitesse, au début des années 1990, l’introduction des patins à claquet (« clap ») a fondamentalement changé le sport, car ils offraient un tel avantage que tous les patineurs ont abandonné les patins traditionnels.
Un exemple plus récent serait le « broomgate » (scandale du balai) dans le curling. Le curling consiste à lancer une pierre sur la glace et à balayer la glace devant la pierre pour contrôler la trajectoire et la distance que la pierre peut parcourir. Il y a une dizaine d’années, un nouveau matériau pour balais de curling a radicalement changé la façon dont le balayage pouvait modifier la trajectoire de la pierre. Lorsque les équipes ont adopté les nouveaux balais, elles ont pu constater qu’ils modifiaient fondamentalement les habiletés sportives requises, puisque le balayage pouvait corriger un mauvais lancer de nouvelles façons. Les nouveaux balais contribuaient également à endommager la glace. Ils ont finalement été interdits et le sport n’autorise plus qu’un seul matériau standard.
Sean Maw est actuellement très impliqué dans le curling et dans les nouvelles normes qu’on essaie de créer. « Il s’agit d’un exercice d’équilibre délicat, qui dépend en partie de la technologie. Nous essayons de trouver un moyen de faire face à l’évolution de la technologie. » Mais lorsqu’ils tentent d’établir une norme, les concepteurs et les organismes sportifs doivent tenir compte des différents styles et besoins des athlètes. Comme le dit Sean Maw, « Où fixer cette norme pour qu’elle soit juste pour tout le monde et que chacun ait une chance d’exceller ? ».
Voici un autre problème se pose : dans l’empressement à améliorer l’ingénierie de la technologie sportive, l’aspect humain du sport risque de se perdre. « Lorsque l’être humain est le maillon le plus faible, le sport n’est pas sécuritaire. Et cela se produit lorsque la technologie n’a pas été gérée. La gérance technologique n’a pas été exercée aussi bien qu’elle pourrait l’être dans une variété de sports, et je pense que ce sera le défi à relever dans l’avenir », explique M. Maw.
L’éthique en génie
L’éthique, la gérance et la responsabilité de l’impact que l’ingénierie peut avoir sur la société sont des sujets importants sur lesquels Sean Maw insiste dans son rôle d’enseignant en génie à l’Université de la Saskatchewan.
« L’ingénierie est une profession qui donne du pouvoir. Elle vous donne des outils pour changer le monde, et le défi qui se pose, c’est comment le changer pour le mieux », explique M. Maw. Selon lui, c’est une question sur les motivations des ingénieurs qu’on ne pose pas assez souvent. Il existe une grande variété de raisons pour lesquelles une personne peut choisir de devenir ingénieur, mais comment est-elle soutenue dans ses aspirations ? Certains ingénieurs veulent devenir des entrepreneurs, d’autres veulent opérer des changements sociaux. Certains souhaitent se lancer dans la recherche et d’autres, comme Sean Maw, veulent faire progresser la gérance technologique dans le domaine du sport. Toutes ces aspirations professionnelles sont valables, mais comme le souligne M. Maw, « nous faisons relativement peu pour les soutenir, et il doit y avoir de la place pour ces personnes. La profession doit être plus ouverte envers ce que signifie être ingénieur ».
L’idée centrale que Sean Maw veut que ses étudiants considèrent est comment identifier les bons problèmes à résoudre en tant qu’ingénieurs. « Déterminer un bon problème à solutionner est l’une des choses les plus importantes et les plus difficiles en ingénierie. Et je travaille avec beaucoup de mes étudiants pour tenter de le faire, pour essayer de trouver de bons problèmes », explique-t-il. Pour sa part, il travaille dans le domaine du sport professionnel pour permettre aux athlètes de participer à des compétitions au plus haut niveau dans des conditions sécuritaires et équitablement réglementées, et pour aider ses étudiants à identifier leurs passions et les problèmes d’aujourd’hui qui devront être résolus demain.