À l’instar d’autres professions, la profession d'ingénieur est confrontée à des changements perturbateurs suscités par les technologies émergentes.

Cette réalité a servi de point de départ à un débat tenu lors de la conférence Future of Engineering de l'Ontario Society of Professional Engineers (OSPE), qui a eu lieu les 6 et 7 octobre. La discussion, sur le thème de l'avenir du permis d’exercice face aux nouvelles technologies, portait sur ce qui pouvait être fait en Ontario pour assurer la pertinence continue des ingénieurs.

Le débat était animé par Annette Bergeron, ancienne présidente d'Ingénieurs Canada et actuelle présidente de l'Office de la sécurité des installations électriques, et comprenait les panélistes suivants : Charles Tremblay, directeur, Transformation numérique, Notarius; Rick Guerra, président, National Society of Professional Engineers; Matthew Oliver, de l'APEGA, et Beryl Strawczynski, gestionnaire, Recherche réglementaire et Mobilité internationale, Ingénieurs Canada. 

Les panélistes ont chacun exposé leur vision de l'avenir du permis d'exercice, en se fondant sur leur expérience et les perspectives de leur zone de compétence respective. Beryl Strawczynski d'Ingénieurs Canada résume ci-dessous les idées qu'elle a échangées avec le groupe.

Ingénieurs Canada : La discussion s'est concentrée sur l'avenir du génie et du permis d’exercice. Qu’en est-il, selon vous?

Beryl Strawczynski : D’après moi, il y a trois choses à considérer dans la vision de l'avenir du permis d’exercice : le quoi, le qui et le pourquoi. C’est-à-dire : qu'est-ce qui doit être autorisé par le permis? Qui doit être titulaire d'un permis? Et pourquoi obtenir un permis ou, en d'autres termes, que représente le permis?

IC : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur chacune de ces considérations? Commençons par le « quoi ».  

BS : Nous savons que l'exercice du génie devient plus complexe et interdisciplinaire, ce qui remet en question les modèles de réglementation existants en raison du rythme des changements et de la prolifération des secteurs. Cela signifie que nous sommes à la croisée des chemins en ce qui concerne l'avenir du permis d'exercice du génie.    

Selon une vision de l'avenir, les permis d'exercice sont plus concentrés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Ils n'existent que pour un petit nombre de disciplines, soit les domaines plus traditionnels et liés à la sécurité, comme le génie civil, mécanique et électrique.

Selon une autre vision de l'avenir, la réglementation du génie a entièrement intégré les domaines d'exercice émergents, contemporains et qui se chevauchent, et le permis d'exercice est beaucoup plus large qu'aujourd'hui. Ce modèle va au-delà de l’importance traditionnellement accordée à la sécurité. Il engendre une prise de conscience et une acceptation de la valeur sociale du permis d'exercice. Ce modèle fonctionne lorsque les parties prenantes reconnaissent la définition du génie et de ses activités. Les organismes de réglementation sont proactifs en matière d'éducation et encouragent la conformité.    

C'est, par exemple, ce qui s'est passé dans le domaine du génie logiciel. De nombreuses personnes et entreprises actives dans ce domaine ne savent pas qu'elles font de l'ingénierie, et encore moins qu'elles doivent obtenir un permis d'exercice. En expliquant en quoi ce travail relève du génie, en le reliant non seulement à la sécurité publique, mais aussi à un impact social plus large, certains organismes de réglementation ont réussi à améliorer les taux d'octroi de permis. Il pourrait s'agir d'une voie à suivre, à mesure que le génie s'étend à des domaines nouveaux et différents.

IC : Et maintenant, qu’en est-il du « qui »? Pouvez-vous développer?

BS : Le « qui » considère le sujet qui obtient le permis – une plus grande sensibilisation sociale et une meilleure compréhension de la pratique du génie sont liées à un avenir où les permis ne sont plus réservés à des personnes. Les entités qui fournissent ou vendent des services d'ingénierie seraient également titulaires de permis.   

Les entreprises exercent une influence considérable sur les comportements et les attitudes de leurs employés ingénieurs. Au Québec, la Commission Charbonneau a mis en évidence ce lien entre les pressions du milieu de travail et les comportements individuels. Ses conclusions préconisaient une réglementation et une surveillance accrues des entités.   

Voici un autre exemple : en Colombie-Britannique, la nouvelle Professional Governance Act a instauré la réglementation des entités afin de renforcer le lien entre les professionnels et leurs employeurs et de faire en sorte que les deux soient responsables de leurs actes.

IC : Et enfin, que voulez-vous dire par le « pourquoi » du permis d’exercice?

BS : Ce troisième aspect concernant l'avenir du permis d'exercice pose les questions suivantes : Pourquoi obtenir un permis? Que représente le permis? L'avenir du permis d'exercice continuera de refléter les attentes du public, à savoir que les membres de la profession exercent dans le cadre de leurs compétences et soient assujettis à un code de déontologie.   

En ce qui concerne les compétences, l'évolution rapide de la nature du travail signifie que les ingénieurs devront suivre un apprentissage continu pour maintenir leurs compétences techniques et sectorielles.

De même, la déontologie ira au-delà des concepts traditionnels du « devoir envers le public » et de la dénonciation, et le public s'attendra de plus en plus à ce que les ingénieurs tiennent compte de l'impact social étendu de leur travail, notamment des questions telles que la durabilité, l'équité et la justice sociale. Les ingénieurs non seulement répondront aux besoins des utilisateurs, mais seront aussi des acteurs de changement. 

Je prédis que, dans l'avenir, on sera plus conscient et on insistera davantage sur le fait que le permis d’exercice constitue un contrat social, exigeant de la profession qu'elle respecte une conduite éthique et prenne la responsabilité de relever les défis sociaux.

IC : Lors du débat, on vous a également demandé comment le génie se modernisait au Canada. Quels changements récents ont été apportés pour moderniser la pratique du génie au pays?

BS : De nombreux changements en cours contribuent à moderniser l'exercice du génie, et j'en ai souligné quelques-uns lors de la table ronde, notamment :

  • Protection du public : De nombreux organismes de réglementation entreprennent leur parcours de modernisation en rétablissant leur rôle dans la protection du public. Les organismes de réglementation s’efforcent de changer la perception qu'ils existent pour servir les besoins et les désirs de leurs membres, en réitérant plutôt que leur mandat est de protéger l'intérêt public. Ils fournissent à leurs inscrits des normes techniques et contribuent à créer les valeurs et l'éthique de la profession qui assurent la sécurité du public.
  • Mises à jour législatives : Dans le cadre de leur mandat de protection du public, de nombreux organismes de réglementation ont demandé l'appui des gouvernements pour mettre à jour leurs cadres législatifs, qui datent souvent du siècle dernier où la plupart des technologies que nous tenons pour acquises aujourd'hui n'existaient pas. Les organismes de réglementation ont besoin de lois modernes et adaptées pour faire face aux changements que connaît la profession.
  • Modernisation des structures de gouvernance : Dans le cadre de la réforme législative, davantage d’organismes de réglementation procèdent à des auto-évaluations pour revoir leurs modèles de gouvernance et les rôles de leurs conseils, bureaux et comités. Il s'agit notamment de passer de l’élection des représentants aux nominations fondées sur le mérite, de contrôler la taille des principales instances décisionnelles et de préconiser une représentation plus juste et davantage d'équité, de diversité et d'inclusion en matière de gouvernance afin de mieux refléter la population desservie.
  • Procédures de demande de permis : Comme la nature du travail d'ingénierie s'élargit, la plupart des organismes de réglementation ont déjà modifié leurs procédures de demande de permis afin d'évaluer l'expérience de travail à l’aide de méthodes de rapport basées sur les compétences. Les candidats doivent ainsi démontrer où et comment ils ont acquis et appliqué des compétences clés, telles que la compétence technique, la communication et la responsabilité professionnelle. Ils doivent décrire leurs réalisations de travail et les faire valider par leurs superviseurs et leurs collègues.
  • Programmes de DPC : Les programmes de développement professionnel continu se sont développés pour aider les praticiens à rester à jour et acquérir de nouvelles compétences, alors que les milieux de travail évoluent et que les attentes en matière d'apprentissage tout au long de la vie deviennent plus importantes. La fréquence des formations et les types d'expériences acceptables changent. L'avenir du génie dépendra de larges compétences fondamentales, comme la résolution créative de problèmes, la pensée critique, la créativité, la collaboration et la communication, que ces programmes de DPC tentent de transmettre aux ingénieurs à toutes les étapes de leur carrière. 
  • Impact de la mondialisation : La mondialisation est un autre défi moderne, avec l’augmentation constante de la mobilité du travail et des praticiens. Reconnaissant que de nombreux praticiens ont été formés et/ou ont exercé le génie à l'étranger avant d’arriver au Canada, bon nombre d’organismes de réglementation ont ajusté leurs procédures d'attribution de permis pour tenir compte des candidats possédant une expérience internationale et diversifiée et explorer d'autres cheminements pour l’obtention d’un permis canadien. Certaines catégories de permis, comme les permis restrictifs et les permis temporaires, rendent également la profession plus accessible aux personnes qui en étaient auparavant exclues.