Jean-Paul Pinard a un plan pour aider le Yukon et le Nord à se sevrer des combustibles fossiles grâce à l’énergie éolienne renouvelable. 

Jean-Paul Pinard nous parle depuis un petit bureau vert. Derrière lui, des étagères garnies de piles de documents et de livres; au mur, de belles images d’éoliennes. Avec clarté et assurance, M. Pinard explique comment il compte sauver son petit coin de planète et sevrer le Yukon des combustibles fossiles au profit de l’énergie éolienne renouvelable. Il espère qu’une fois le concept prouvé, le reste du Nord suivra. 

M. Pinard connaît la valeur de la persévérance. Il vit au Yukon depuis plus de 30 ans et a passé la plus grande partie de sa carrière d’ingénieur en mécanique à poursuivre un seul et même objectif : amener l’énergie éolienne renouvelable dans le Nord.

Trouver l’inspiration

MET Tower Sachs Harbour

M. Pinard avoue être plutôt « mécanique » dans sa façon de penser et de prendre des décisions. Son frère aîné s’est lancé en génie avant lui, ce qui constitue pour lui une source d’inspiration proche.  

« Il a sept ans de plus que moi, alors j’ai eu le temps d’y penser pendant qu’il faisait ses études », admet M. Pinard.  

Pinard recherchait un domaine du génie qui lui offrirait une certaine polyvalence et il s’est orienté vers le génie mécanique. Au Yukon, la plupart des emplois qu’il a occupés étaient pour le compte de sociétés d’arpentage. Lorsque cette activité est devenue répétitive, il a décidé qu’il devait essayer quelque chose de nouveau. Il a trouvé une inspiration inattendue auprès de sa future épouse et partenaire d’affaires, Sally Wright. 

En 1994, Mme Wright vivait hors réseau grâce à des panneaux solaires et des batteries rechargeables. C’est en travaillant sur son système que M. Pinard a décidé de ce qu’il allait faire. « J’ai décidé de m’orienter vers les énergies renouvelables, explique-t-il, je voulais aider à sauver notre planète. »

Cette décision l’a mis en contact avec celui qui allait devenir son mentor, Doug Craig. M. Craig travaillait au Boreal Alternate Energy Centre, à l’époque un organisme local à but non lucratif situé à Whitehorse. C’est lui qui a fait découvrir à M. Pinard les possibilités de l’énergie éolienne et c’est ce qui a amené ce dernier à affiner sa spécialité, à faire un doctorat sur la modélisation du vent en terrain montagneux au Yukon, et à orienter sa carrière dans ce sens.  

« Pour devenir ingénieur, explique M. Pinard, [il faut] être curieux. Il ne faut pas être timide et il ne faut pas hésiter à poser beaucoup de questions. M. Pinard est un homme qui suit ses propres conseils : il a immédiatement commencé à étudier la faisabilité de l’énergie éolienne au Yukon en prenant contact avec les entreprises de services publics pour connaître les besoins des différentes collectivités.  

Un potentiel inexploité

« Une communauté a généralement trois grands besoins énergétiques, explique M. Pinard. Dans le Nord, les gens ont besoin d’électricité pour l’éclairage et les appareils ménagers, de carburant pour les transports et d’énergie pour le chauffage des locaux. Ce dernier secteur, le chauffage, consomme la majorité de l’énergie d’une communauté.  

M. Pinard cite l’exemple d’une ville voisine, Burwash Landing, dont environ 60 % de l’énergie est consacrée au chauffage des locaux sous une forme ou une autre. Or, cette énergie est rarement prise en compte dans les évaluations de la consommation d’énergie. Par exemple, une entreprise de production d’électricité peut dire que 93 % de l’électricité provient de l’hydroélectricité et 7 % du diesel. Ces chiffres n’incluent cependant pas l’énergie utilisée pour le transport ou le chauffage des locaux. Si l’on tient compte de ces derniers, l’utilisation de l’hydroélectricité ne représente plus qu’un tiers des besoins énergétiques globaux de la communauté. Dans tout le Nord, l’énergie renouvelable représente moins de 1 % de l’énergie consommée. 

M. Pinard aimerait voir ce chiffre augmenter considérablement et a ciblé le chauffage des locaux. En hiver, la quantité d’énergie utilisée pour le chauffage des locaux augmente considérablement; c’est aussi la période de l’année où le vent est le plus fort. 

« Ici, le vent est une ressource renouvelable énorme et inexploitée... beaucoup de gens ne l’ont pas encore compris », explique M. Pinard. Les vents forts sont plus que suffisants pour répondre à la demande, à condition que l’infrastructure de stockage adéquate soit mise en place. Par un heureux hasard, la plus grande source de consommation d’énergie du Nord offre la meilleure solution à ce problème. 

Comme l’explique M. Pinard, un accumulateur thermique électrique (ATE) remplace en fait une chaudière à mazout. Pendant les jours d’hiver exceptionnellement venteux, l’énergie excédentaire produite est stockée dans le système ATE sous forme de chaleur. Lorsque le vent tombe, l’énergie stockée est disponible pour continuer à chauffer la maison. 

Jeter les bases

MET Tower Sanikiluaq

Cela semble très simple. L’énergie éolienne, stockée sous forme de chaleur, peut être utilisée pour chauffer les maisons pendant l’hiver. Mais cette solution nécessite beaucoup de planification et de recherche pour être conçue et mise en œuvre. 

« Je suis un éclaireur... Je fais l’évaluation initiale et je recommande ensuite aux responsables ce qu’il faut faire. » Pour effectuer ce repérage, M. Pinard construit et installe des tours météorologiques. 

Ces tours peuvent mesurer de 10 à 60 mètres de haut. Elles mesurent des valeurs telles que la vitesse et la direction du vent, la température, la pression barométrique et l’humidité. Les données recueillies à partir de la tour sont utilisées pour déterminer le potentiel de l’énergie éolienne dans la région.  

L’énergie éolienne n’est pas le seul facteur décisif. L’infrastructure et le réseau électrique d’une communauté doivent également être évalués. En 2016, M. Pinard s’est penché sur cette question en collaborant avec l’Université du Yukon et les quatre entreprises d’électricité du Nord pour créer le poste de chaire d’innovation énergétique du Nord.  

« La chaire modélise et cartographie le réseau d’un village qui souhaite installer un système solaire ou un parc d’éoliennes. Elle recherche aussi les problèmes de stabilité qui pourraient découler du projet proposé », explique M. Pinard.

Les données sur la faisabilité de l’éolien et l’assurance que le réseau énergétique peut supporter cette transformation constituent un plan d’action clair, à condition d’obtenir l’appui de la communauté. 

« Je pense que c’est la chose la plus importante, établir de bonnes relations avec la communauté », précise M. Pinard, lui qui a des années d’expérience dans la création d’initiatives communautaires visant à introduire l’énergie éolienne dans de nouveaux endroits. 

Il y a 20 ans déjà, M. Pinard s’est porté volontaire auprès de la Yukon Conservation Society (YCS) pour créer un comité de l’énergie, doté d’un coordonnateur officiel de l’énergie. En 2014, M. Pinard et la YCS ont décidé d’introduire l’ATE à Whitehorse. Ils ont organisé une conférence, un atelier et un projet pilote qui a permis de placer des systèmes de chauffage ATE dans plus de 45 foyers afin de voir comment le système peut fonctionner à grande échelle. La prochaine étape de ce projet consistera à combiner l’ATE avec les nouvelles éoliennes en cours de construction à Eagle Hill et, si tout va bien, à étendre le projet à tous les foyers du Yukon. 

« Il y a aussi un aspect culturel à tout cela », ajoute M. Pinard. Les besoins varient d’une communauté à l’autre. Le Yukon, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest abritent de nombreuses communautés autochtones et les projets doivent progresser en collaboration dès le départ. Pour garantir une communication claire, M. Pinard croit que la meilleure pratique consiste à commencer les projets en créant des groupes de travail sur l’énergie. 

De la même manière que le fait pour l’YCS de disposer de son propre comité de l’énergie lui permet de s’approprier son propre réseau, les groupes de travail permettent aux communautés de participer directement à l’avenir de leur système énergétique et d’avoir leur mot à dire.  

 « Un groupe de travail sur l’énergie... est représenté par différentes organisations de la communauté et aide la communauté elle-même à développer ses propres capacités de connaissance », explique M. Pinard. De cette façon, l’ensemble de la communauté participe à la prise de décision et a accès aux connaissances sur la manière dont le système peut être créé et utilisé. 

Du concept à la création

M. Pinard est tellement convaincu de l’efficacité et du potentiel de l’énergie éolienne et de l’ATE que sa femme et lui ont créé une société, Wind Heat North Inc., pour proposer cette technique combinée comme méthode de chauffage hivernal au Yukon et à l’ensemble du Nord. 

Il dispose des données nécessaires pour démontrer que le vent est suffisamment fort pour que ces communautés puissent se chauffer grâce à de l’énergie éolienne 100 % renouvelable. 

« Bon nombre d’initiatives lancées ici et de travaux réalisés à Whitehorse et au Yukon sont copiés et appliqués dans d’autres territoires [...]. Je suis convaincu que ce que nous faisons ici... deviendra une technologie standard de Whitehorse à Iqaluit », ajoute M. Pinard.

M. Pinard envisage un avenir meilleur et plus durable, où Whitehorse pourrait devenir un centre de développement des énergies renouvelables dans le Nord. Pour obtenir de l’électricité éolienne à bas prix, les projets d’éoliennes doivent être évolutifs et la capacité de stockage doit être augmentée. Mais M. Pinard poursuit le travail à un rythme soutenu et ne perd pas de vue son objectif : un avenir alimenté par l’énergie éolienne.