Des ingénieurs sur la Colline parlementaire est une série d’entretiens avec des ingénieurs titulaires d’une charge publique fédérale, réalisés pour notre bulletin Parlons génie.  Vous trouverez ci-dessous le quatrième entretien de cette série, avec la sénatrice Rosa Galvez, ing.

Mme Galvez a été nommée au Sénat du Canada en décembre 2016 pour représenter le Québec (Bedford). Originaire du Pérou, Mme Galvez est l’une des grandes spécialistes du contrôle de la pollution et de ses effets sur la santé humaine au Canada. Titulaire d’un doctorat en génie de l’environnement de l’Université McGill, Mme Galvez enseigne à l’Université Laval, à Québec, depuis 1994. Elle a dirigé le Département de génie civil et de génie des eaux de 2010 à 2016. Elle se spécialise en décontamination de l’eau et des sols, gestion des déchets et résidus, et impact environnemental et évaluation du risque.

Ingénieurs Canada : Qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour le génie? Qu’est-ce qui vous a incité à faire vos études dans ce domaine?

Rosa Galvez : Je me soucie de l'environnement, en particulier de l'eau, depuis très longtemps. Mes grands-parents, qui vivaient dans les Andes péruviennes, puisaient leur eau dans des puits artisanaux et des sources d'eau de surface qu'ils partageaient avec leur bétail. Je savais qu'il y avait un risque de tomber malade en buvant cette eau.

À l'école, j'ai toujours obtenu d'excellents résultats en mathématiques (cela doit être dans mes gènes car mon père était professeur de mathématiques à l'université et ma mère était comptable). J'étais la seule femme dans une classe de 500 étudiants en génie. J'ai étudié le génie civil avec une concentration en génie sanitaire, gestion de l'eau, des eaux usées et des déchets solides.

Je suis arrivée au Canada en 1985 avec 50 $US en poche. Mon mari de l'époque m’a encouragée à poursuivre des études supérieures, ce que j’ai fait à l'Université McGill. Je me suis spécialisée en génie de l’environnement, qui touche d’autres aspects comme les terres contaminées, l’évaluation de l’impact environnemental et, plus récemment, les changements climatiques.

Quarante-cinq ans plus tard [depuis mon enfance au Pérou], j’ai été particulièrement touchée par la tragédie de Lac-Mégantic, quand un train transportant du pétrole non conventionnel a déraillé et explosé, tuant instantanément 47 personnes. J’ai été aux premières loges puisque j’ai passé cinq ans à étudier les effets de cette catastrophe sur la région et sur la rivière Chaudière. J’ai fait l’analyse médico-légale de l’accident et formulé des recommandations dans cinq domaines pour éviter qu’un tel accident se reproduise.

En somme, dès le début de ma vie, la pollution m’apparaissait comme un grave problème touchant différemment les gens, certaines personnes étant plus vulnérables que d’autres, ce qui représentait une injustice. 

IC : Qu’est-ce qui vous a poussée à obtenir le permis d’exercice? Encourageriez-vous les diplômés en génie à en faire autant?

RG : J’ai été attirée par des études en génie plutôt qu’en sciences naturelles parce que je ne voulais pas seulement comprendre un problème, je voulais aussi y trouver des solutions. Il était crucial pour moi de créer, concevoir, dimensionner, construire et résoudre un problème de pollution. Dans ma carrière de chercheure, j’ai toujours travaillé pour régler un problème de pollution bien réel. La théorie ne me suffisait pas. Quand on est titulaire d’un permis d’exercice, on doit se garder au fait des codes et des pratiques de pointe en génie. Pour moi, c’était un aspect crucial. Quand on est professeur et qu’on forme des ingénieurs, on doit donner des exemples tirés de la pratique et connaître les progrès de la profession sur le terrain.

IC : Après une carrière d’ingénieure, qu’est-ce qui vous a poussée à briguer une charge publique?

RG : À l’échelle internationale, mes pairs m’avaient reconnue comme étant une chercheure exceptionnelle dans un domaine émergent où nous avons besoin de professionnels qualifiés pour régler un grand nombre de problèmes environnementaux. Je me suis vite rendu compte dans ma carrière d’ingénieure que la législation environnementale sert surtout à contrôler le niveau de pollution et à tolérer ou autoriser la pollution, mais certainement pas à l’arrêter. J’ai également remarqué que plus je menais des projets de recherche, et plus ces derniers avançaient, plus je devais convaincre une grande variété d’acteurs que la pollution était inacceptable et qu’il fallait assainir, décontaminer, traiter et remettre en état l’environnement, car c’était essentiel à la qualité de vie et à la santé et la sécurité publiques. J’avais également participé à l’administration d’une université et je me suis rendu compte qu’il me fallait intervenir là où les décisions étaient prises. J’ai posé ma candidature au poste de sénateur, mais je n'avais aucune idée de mes chances d’être choisie. 

IC : Est-ce que votre formation d’ingénieure vous a aidé dans vos fonctions de sénatrices? Si oui, comment?

RG : Absolument. Le fait de savoir ce qui se passe dans les collectivités qui ont besoin d’eau, d’air ou de sols propres pour survivre, pour vaquer à leurs activités sociales ou économiques, vous donne un aperçu de ce dont la société a besoin et de ce qu’elle veut. Au cours de sa formation, un ingénieur apprend à analyser, évaluer et jauger un problème donné; ce qui est vraiment très utile. Comment pourrait-on régler un problème si on ne l’a pas jaugé? Je trouve que les politiciens promettent souvent beaucoup de choses, mais sans pouvoir tenir ces promesses, car ils ne connaissent pas l’ampleur d’un problème, ou parce qu’ils ne peuvent pas faire la distinction entre une cause et un effet. Donc, la plupart d’entre eux se concentrent sur l’atténuation des effets, mais sans s’attaquer aux causes. La manière dont les changements climatiques sont gérés en est un bon exemple. Nous devons à la fois atténuer les effets des changements climatiques (non seulement réduire les émissions de gaz à effets de serre, mais également les arrêter) et nous adapter (parce que le climat change radicalement, que nos infrastructures sont touchées et que les ingénieurs doivent adapter leur façon de faire pour tenir compte des risques liés aux changements climatiques).

IC : Qu’est-ce que les ingénieurs, ou la perspective du génie, apportent de plus aux décisions de politique publique?

RG : Il ne fait aucun doute que je suis très fière du code de déontologie dont nous nous sommes dotés. Notre principe numéro un est la protection du public. Nous savons que nous devons concevoir, construire, exploiter et démanteler les infrastructures de manière sûre. Maintenant, on nous demande de tenir compte du développement durable et, par exemple, d’accroître l’efficience (en matière d’énergie, d’utilisation de l’eau ou des ressources). Nous cherchons toujours des moyens d’accroître l’efficience et l’efficacité.

Le principe numéro deux du génie qui m’est cher concerne le transfert de connaissances et l’innovation. Et nous connaissons l’importance de la recherche et du développement. Si je peux insuffler certains de ces principes, valeurs et perspectives à la politique, je pense que le public en profitera et que l’on pourrait atteindre une prospérité durable.

IC : Comment pouvons-nous encourager une plus grande diversité au sein de la profession d'ingénieur?

RG : La politique est dominée par les hommes, il est difficile pour une femme de s’élever en politique, mais il est évident que si nos gouvernements adoptent la perspective d’un seul sexe, nous gaspillons et ne profitons pas des idées et de la créativité de l’autre moitié de la population. C’est triste et cela nous empêche d’aller plus loin.

Je suis heureuse que les choses évoluent dans le domaine du génie et qu’un plus grand nombre de femmes embrassent les STIM. J’espère que la même chose se produira en politique. Mais pour précipiter un peu ces changements (sinon, c’est trop lent) nous devons mettre en place des politiques et des programmes, et changer radicalement notre culture. Quand on observe la nature, on constate que plus il y a de biodiversité, plus un écosystème est autosuffisant et fonctionne bien. Il en va de même dans le domaine du génie et de la politique. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de femmes et de personnes d’horizons divers. Les peuples autochtones possèdent des connaissances ancestrales qui ont aidé les ingénieurs depuis la création du Canada. Les ingénieurs étrangers proposent des formules différentes pour résoudre un problème : parfois moins coûteuses, parfois plus efficaces, parfois moins complexes, parfois plus douces pour l'environnement.

IC : Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui envisagent de se lancer en génie?

RG : Soyez persévérantes, cultivez votre résilience, dites ce que vous pensez, montrez vos capacités et vos compétences, mais restez aussi fidèles à vos valeurs fondamentales.

IC : Que diriez-vous à une jeune femme ou un jeune homme qui se demande s’il devrait aller en génie?

RG : Il arrive qu’on se lance en génie et qu’on s’oriente vers une discipline qui ne correspond pas à notre personnalité. Dans certaines disciplines, on travaille en solitaire. Dans d’autres, on doit rencontrer des gens. Certaines ont des répercussions directes sur la société; d’autres, indirectes. Je dirais qu’il faut prendre son temps, explorer, et accepter que, parfois, il vaudrait peut-être mieux changer de discipline.

L’une des meilleures décisions que j’ai prises dans ma vie, c’est de devenir ingénieure. Ça n’a pas été un long fleuve tranquille, mais ça a certainement été passionnant et valorisant. J’y ai aussi trouvé une solidarité exceptionnelle avec mes pairs, et j’ai noué des amitiés durables avec bon nombre d’entre eux.

IC : Que diriez-vous à un ingénieur qui songe à briguer une charge publique?

RG : Ayez l’esprit ouvert. Dans la vie publique et aux échelons décisionnels, nous devons comprendre que certains problèmes sociaux ne peuvent être réglés à l’aide de la technologie. La force des ingénieurs, c’est de savoir comment cerner et évaluer un problème, et envisager des solutions de nature différente. Les électeurs s’attendent à une forte composante de service public de la part des candidats.

Lisez les autres entretiens de la série Des ingénieurs sur la Colline parlementaire ici.