
Si vous connaissez un.e ingénieur.e canadien.ne, vous avez peut-être remarqué qu’il ou elle portait un anneau au petit doigt. Loin d’être un accessoire de mode, cet anneau de fer symbolise l’engagement verbal que prennent les diplômé.e.s en génie – une tradition appelée Rite d’engagement de l’ingénieur. La Cérémonie d’engagement a été modernisée et actualisée en l’honneur de son 100e anniversaire cette année.
Genèse de l’engagement
En 1907, un pont enjambant le fleuve Saint-Laurent à l’ouest de Québec s’effondre pendant sa construction. Soixante-seize ouvriers sont tués, dont de nombreux Mohawks de Kahnawake, près de Montréal. L’effondrement est attribuable à une conception défectueuse et à l’arrogance humaine : plusieurs ingénieurs, dont le concepteur et le chef de chantier, avaient ignoré ou rejeté les préoccupations des ouvriers.
Herbert Haultain, ingénieur minier et professeur à l’Université de Toronto, se donne alors pour priorité d’éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise au Canada. Il croit que le moyen d’y parvenir est d’inviter les nouveaux diplômés en génie à s’engager formellement à se comporter de manière professionnelle, à respecter les principes déontologiques les plus élevés et à se souvenir de leur responsabilité envers la société.
En 1922, il propose son idée à l’assemblée annuelle de l’Institut canadien des ingénieurs et reçoit une réponse positive. Un comité composé de sept anciens présidents de l’Institut est formé pour promouvoir ce qui deviendra le Rite d’engagement de l’ingénieur.
Haultain invite l’auteur britannique Rudyard Kipling, qui fait référence aux ingénieurs dans plusieurs de ses poèmes, à rédiger le texte de la cérémonie d’engagement. Kipling accepte et propose également le dessin de l’anneau de fer, dont les facettes rugueuses symbolisent les défis auxquels les ingénieurs sont confrontés au cours de leur carrière.
Le 25 avril 1925, six diplômés en génie sont les premiers à prendre l’engagement lors d’une cérémonie inaugurale tenue à Montréal, et chacun reçoit l’anneau de fer qui est devenu un symbole de l’ingénierie au Canada.
Unique au Canada, la Cérémonie d’engagement est une étape importante dans le parcours des ingénieur.e.s. La cérémonie est supervisée par la Société des sept gardiens, successeure du comité formé en 1925, et 28 groupes à travers le Canada, appelés sections, organisent des cérémonies pour les étudiant.e.s en génie qui obtiennent leur diplôme.
L’importance de l’anneau de fer
L’anneau de fer se porte à l’auriculaire de la main dominante : à droite pour les droitiers et à gauche pour les gauchers. Selon Leonard Shara, gardien-en-chef de la Société des sept gardiens, il y a une bonne raison à cela.
« De nombreuses fois par jour, lorsque vous utilisez cette main – que ce soit pour travailler à l’ordinateur, signer un document, indiquer quelque chose ou manipuler des outils – elle vous rappelle constamment qu’à chaque instant de votre vie professionnelle et personnelle, vous vous êtes engagé à faire de votre mieux, à protéger la société, à ne pas accepter de matériaux défectueux ou de travaux mal faits, et à soutenir vos collègues. »
« L’anneau représente cet engagement à respecter les normes d’intégrité les plus élevées de notre profession et à protéger la sécurité publique, et à se tenir mutuellement responsables, dit Mary Wells, doyenne de la Faculté de génie de l’Université de Waterloo. Les ingénieur.e.s ont le pouvoir de façonner le monde dans lequel nous vivons, et il est de leur devoir de s’assurer que leur travail profite à l’humanité et protège le bien-être de tous, non seulement des personnes, mais aussi de toutes les formes de vie sur cette planète. »
Bien qu’il ne soit pas obligatoire de prendre cet engagement, Mme Wells affirme que, pour la plupart des étudiant.e.s qu’elle rencontre, il s’agit d’un élément important de leur cheminement vers l’exercice du génie.
« C’est une célébration collective, car l’ingénierie est l’un de ces domaines où les étudiant.e.s travaillent en collaboration. Pour beaucoup d’entre eux, c’est comme une remise de diplôme. Ils ont l’impression que cela a plus de sens pour eux que la cérémonie de remise des diplômes proprement dite », explique Mary Wells.
Kalena McCloskey, présidente de la Fédération canadienne étudiante de génie et étudiante en troisième année en génie à l’Université Queen’s, a hâte de participer à la Cérémonie d’engagement de l’an prochain.
« J’ai surtout hâte de ressentir la fierté de la profession d’ingénieur qui accompagne la remise de l’anneau, et le rappel constant des obligations et des responsabilités qui nous incombent en tant que diplômé.e.s en génie. Je me réjouis également du fait que cette cérémonie marque la transition entre le statut d’étudiant.e de premier cycle et le parcours vers l’obtention du permis d’exercice. »
Les étudiants en génie Carson Bay et Duke Gand obtiendront leur diplôme de l’Université de Waterloo à la fin de cette session et ont récemment assisté à leur Cérémonie d’engagement. Pour Carson Bay, l’anneau de fer est « un formidable rappel du poids des décisions que je vais devoir prendre ».
« Cela montre que l’on peut triompher de n’importe quoi à condition d’être déterminé, d’y mettre du cœur et de travailler fort et sans relâche, ajoute Duke Gand. Et cela symbolise le fait qu’il n’y a ni début ni fin à ce qu’on peut accomplir et apprendre, et qu’on peut conserver tous ces acquis. »
« J’ai l’impression de me joindre à une communauté au sein du Canada à laquelle je suis très honoré d’appartenir, déclare Carson Bay. Il m’est souvent arrivé, dans des milieux extérieurs au génie, de remarquer des gens qui portaient un anneau de fer, ce qui m’a permis d’établir des liens avec eux. »
En effet, Leonard Shara estime que l’anneau de fer a contribué à renforcer la communauté canadienne des ingénieurs.
« Lorsque je vois quelqu’un qui porte un anneau, que ce soit au restaurant du coin, dans un aéroport à l’autre bout du monde ou en vacances quelque part, je m’approche de cette personne, je me présente et, cela débouche inévitablement sur une conversation vraiment intéressante. Cet anneau est un peu comme une carte de visite entre nous », explique M. Shara.
Le Rite d’engagement de l’ingénieur a 100 ans
Il y a plusieurs années, des membres de la communauté des ingénieurs ont demandé que des changements soient apportés à la Cérémonie d’engagement afin qu’elle reflète mieux le monde moderne de l’ingénierie et la diversité des ingénieurs qui entrent dans la profession. La Société des sept gardiens a mis sur pied un comité de révision qui a sollicité des représentants de la communauté mohawk de Kahnawake et d’ingénieur.e.s de divers horizons. Le comité a reçu des commentaires des 28 sections et d’autres parties intéressées, dont des étudiant.e.s en génie, des ingénieur.e.s titulaires, des organismes de réglementation du génie et des doyen.ne.s de facultés de génie.
La cérémonie modernisée sera officiellement lancée à Montréal le 25 avril 2025, exactement 100 ans après la première. Le comité a organisé un concours pancanadien pour la création de deux nouveaux poèmes – l’un en anglais, l’autre en français – qui feront partie de la nouvelle cérémonie, et qui seront tous deux lus à haute voix par leurs auteurs lors de l’événement du 25 avril.
Le comité a choisi de conserver les éléments historiques de la cérémonie qui, selon lui, ont encore une signification, notamment le Rite d’engagement et l’anneau de fer, tout en actualisant ou en ajoutant d’autres éléments.
« Certaines expressions archaïques ou plus difficiles à comprendre ont été remplacées, de sorte qu’une jeune personne qui prend aujourd’hui cet engagement en comprendra chaque mot », explique M. Shara. Les images religieuses et les références au genre ont également été supprimées afin de rendre la cérémonie plus inclusive.
« Cela reflète une évolution nécessaire, qui reconnaît la grande diversité des personnes qui étudient aujourd’hui le génie. Il y a cent ans, il s’agissait principalement d’hommes blancs. Aujourd’hui, lorsque je regarde les salles de classe, je constate une grande diversité en termes de genres, d’ethnicité et d’origines des étudiant.e.s », indique Mary Wells.