

Cette année marque le 100e anniversaire de l’Engagement de l’ingénieur, également connu sous le nom de Cérémonie d’engagement. Lors de cette cérémonie, les diplômé.e.s en génie reçoivent leur anneau de fer et s’engagent à agir dans le respect de l’éthique.
La Cérémonie d’engagement et l’anneau de fer constituent une étape clé dans le parcours qui mène à l’obtention du permis d’ingénieur.e. Si la formation en génie et la Cérémonie d’engagement introduisent les premiers concepts éthiques, l’obtention du permis d’exercice – ing. ou P.Eng. - ancre ces concepts éthiques dans la pratique professionnelle. Une fois qu’ils ont obtenu leur permis, les ingénieurs sont tenus de se conformer au code d’éthique, appelé code de déontologie, de la province ou du territoire où ils exercent. Le permis atteste auprès des employeurs, des pairs et de la société leur engagement à respecter les valeurs et les normes déontologiques de la profession.
Comment les ingénieurs intègrent-ils cet engagement éthique dans leur travail quotidien ? Comment respectent-ils les normes élevées établies dans les codes de déontologie provinciaux ou territoriaux et, plus important encore, comment font-ils non seulement ce qui est légal, mais aussi ce qui est juste ? La barre est haute, mais les enjeux le sont tout autant, car les ingénieurs sont responsables de la création et de la pérennité d’une multitude d’aspects de notre environnement bâti et naturel.
Former les étudiants en génie à l’éthique
La plupart d’entre nous ont une connaissance de base de l’éthique dès l’adolescence, mais les étudiants en génie reçoivent généralement une introduction officielle aux principes d’éthique pendant la dernière année de leurs études de premier cycle. Ils apprennent les fondements de la philosophie éthique, les codes de déontologie qu’ils devront respecter et la législation qui régit les ingénieurs dans la province ou le territoire où ils étudient.
Laurie Lockington-Wong, P.Eng., chargée de cours et coordinatrice du cours Éthique en génie au Thompson Centre for Engineering Leadership and Innovation de l’Université Western, estime que les étudiants des dernières années d’études de premier cycle sont mieux outillés pour assimiler et appliquer les notions abordées dans le cadre d’un cours d’éthique.
« Nous pensons que certains des concepts et sujets éthiques que nous abordons nécessitent une certaine maturité de la part des étudiants. Il y a une bonne interaction entre leurs connaissances techniques et les aspects éthiques. »
À l’Université Western, les étudiants examinent des catastrophes techniques réelles comme celles du pont de Québec ou du submersible Titan d’OceanGate d’un point de vue éthique : « Ils ne se contentent pas d’analyser la défaillance technique, ils examinent aussi les lacunes en matière de leadership qui ont pu mener à cette tragédie », explique Mme Lockington-Wong.
Les étudiants sont également invités à analyser les technologies nouvelles, telles que les véhicules autonomes de covoiturage, la viande cultivée en laboratoire ou la technologie d’édition de gènes CRISPR, sous divers angles éthiques.
« Quels sont les risques de cette technologie pour la société ? La grande leçon pour les étudiants en génie est que nous n’avons peut-être pas de législation qui guide le développement sûr de cette technologie, et que nous ne pouvons donc pas nous fier à la loi. Pensez à l’équité, notamment aux groupes démographiques qui pourraient être touchés plus négativement que d’autres, ou encore aux cas où la technologie résout des problèmes pour certains groupes démographiques. Pensez également au développement durable, par exemple aux objectifs de développement durable des Nations unies : comment la technologie peut-elle contribuer à la réalisation de certains d’entre eux ? »
Apprendre sur le terrain
Une fois sur le marché du travail, les diplômés en génie et les ingénieurs en début de carrière peuvent se tourner vers des ingénieurs plus expérimentés pour obtenir des conseils sur les considérations éthiques. Bien que les considérations éthiques soient devenues une seconde nature pour eux, les ingénieurs plus avancés dans leur carrière peuvent jouer un rôle important dans l’encadrement et le soutien des nouveaux ingénieurs qui apprennent à appliquer l’éthique au quotidien dans leur travail.
« L’éthique revient souvent dans les conversations avec les ingénieurs plus jeunes. C’est en grande partie une seconde nature, parce que vous avez affaire à des clients et des contrats, et même si vous n’y pensez pas expressément comme “Il s’agit de ma responsabilité éthique”, la question se pose », déclare Adam Wallace, P.Eng., consultant en génie géotechnique chez Tetra Tech Arctic Engineering Group et vice-président d’Engineers Yukon.
« À ce stade de ma carrière, c’est simplement une question d’instinct », déclare Karen Savage, P.Eng., ingénieure géotechnicienne principale chez RAM Geotechnical Engineering, ancienne présidente du comité sur l’exercice professionnel d’Engineers and Geoscientists British Columbia et ancienne membre du Bureau canadien des conditions d’admission en génie. « Je pense toujours à protéger la sécurité et le bien-être du public et de l’environnement, en grande partie à cause de mon travail bénévole au sein de ma profession. »
Selon Karen Savage, les conversations informelles que l’on a au bureau sont d’excellentes occasions de créer des moments d’apprentissage pour les jeunes ingénieurs. Adam Wallace abonde dans le même sens : « Il est important de les soutenir, d’être à leur disposition et d’essayer de former des ingénieurs plus forts, plus soucieux de l’éthique et plus responsables à qui l’on passera le flambeau. »
Exercer le génie de manière éthique
Il existe de nombreuses façons pour les ingénieurs d’aborder leur travail avec un état d’esprit éthique. Bien entendu, ils doivent connaître le code de déontologie de leur organisme de réglementation. Et tous les ingénieurs stagiaires doivent passer l’Examen national de pratique professionnelle qui comporte des questions sur l’éthique.
Mais que signifie concrètement exercer le génie de manière éthique ? Selon Savage et Wallace, il s’agit notamment de demander une évaluation de son travail par des pairs, de résister aux pressions des clients qui cherchent des raccourcis, de signaler tout problème ou risque qui n’est pas pris en compte et de transmettre le problème aux échelons supérieurs s’il n’est pas résolu la première fois qu’on le soulève.
Karen Savage fait remarquer que le code de déontologie d’Ingénieurs Canada a récemment intégré une clause provenant de l’organisme de réglementation de la Colombie-Britannique qui impose le devoir de signaler à l’organisme de réglementation provincial ou territorial toute décision ou pratique d’ingénierie illégale, dangereuse ou contraire à l’éthique de la part d’inscrits ou d’autres personnes.
« Si un problème survient sur un chantier de construction, il faut le signaler au responsable de la sécurité et à l’entrepreneur général. S’il s’agit d’un problème de conception, il faut le signaler au consultant professionnel agréé coordonnateur, qui est généralement l’architecte. Et si le problème n’est pas résolu, vous devez alors en informer le client. Si une situation sur un chantier demeure irrésolue, il peut être nécessaire d’en référer à WorkSafe ou à l’autorité compétente, puis à l’organisme de réglementation et/ou à d’autres organismes appropriés. Si c’est un problème qui mérite qu’on s’y attarde, vous prenez les mesures nécessaires. Vous le devez. »
Un ingénieur peut également décider de participer à un projet parce qu’il perçoit les risques potentiels et comprend les implications éthiques de ne pas y remédier. Mme Savage a ainsi répondu à un appel d’offres pour la conception et la construction d’un bâtiment dans un centre d’éducation en plein air à North Vancouver, simplement parce qu’elle avait passé du temps sur le site en tant que parente bénévole et qu’elle savait qu’il y avait des risques d’inondation et de tremblement de terre qui n’avaient pas été pris en compte.
« Le site se trouvait dans la plaine inondable de la rivière Squamish et tout le monde pensait qu’il était protégé par des bermes, mais celles-ci avaient été grossièrement aménagées. Elles n’avaient pas été conçues du tout et s’étaient même effondrées lors d’un événement météorologique. En outre, en amont, il y avait un barrage exploité par BC Hydro comme centrale hydroélectrique. Il arrivait que BC Hydro libère une grande quantité d’eau pour améliorer la sécurité du réservoir, mais le système pour avertir les résidents en aval était vraiment défectueux. »
Finalement, Mme Savage a remporté le contrat et a pu faire appel à un géomorphologue, qui l’a aidée à concevoir le bâtiment de manière à atténuer efficacement les risques d’inondation et de tremblement de terre.
Mme Savage suggère également aux ingénieurs de demander l’aide d’un organisme de réglementation provincial ou territorial s’ils ont des préoccupations d’ordre éthique concernant une situation et qu’ils ne sont pas sûrs de la marche à suivre. Au début de sa carrière, elle a examiné une maison dont les fondations se désagrégeaient et a fini par déterminer que la maison avait été construite sur un champ de débris en pente qui avaient dévalé le flanc d’une montagne voisine lors d’un événement météorologique majeur.
« Il s’agissait d’un problème beaucoup plus important que ce que je pouvais faire et savais faire. J’ai donc contacté le directeur de l’exercice professionnel de notre organisme de réglementation provincial. Je ne suis pas certaine que tous les inscrits sachent qu’ils peuvent le faire. Je pense que nous avons finalement pris les mesures qui s’imposaient. »
Selon M. Wallace, l’une des situations éthiques les plus difficiles à gérer pour un ingénieur est d’admettre qu’il a commis une erreur.
« Il faut aller voir son client et lui dire “oui, désolé, nous avons fait une erreur et nous voulons la corriger. Voici ce qu’il va falloir faire pour y arriver.” Il suffit de prendre une grande inspiration et d’arracher le pansement pour en finir. »
C’est une situation à laquelle M. Wallace a été confronté au cours de sa carrière, lorsqu’une modification importante apportée à la conception d’un projet n’a pas été intégrée dans les deux séries de dessins techniques. Bien que cette situation ait coûté de l’argent à son entreprise et au client, la relation s’est finalement rétablie grâce à l’honnêteté dont il a fait preuve : « Les moments difficiles se sont transformés en une expérience globalement positive pour moi. »
Pourquoi l’éthique est importante
En ce qui concerne l’éthique en génie, M. Wallace estime qu’il est essentiel d’aider les clients à comprendre la différence entre ce qui est simplement légal et ce qui est juste. Il s’agit assurément d’un élément clé de l’engagement éthique d’un ingénieur.
« Nous avons le devoir de donner à notre client notre opinion la plus éclairée, la plus professionnelle et la plus avisée sur ce qu’il doit faire. Parfois, il faut vraiment le convaincre de le faire, car il se peut qu’il ne le veuille pas. Il faut savoir tenir bon et prendre une décision. Et plus on gagne en expérience dans cet exercice, moins cela devient épineux. »
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